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La guerre civile confessionnelle gagne l’Irak

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Débordant de Syrie, la guerre civile confessionnelle gagne l’Irak tandis que l’activisme verbal de la diplomatie française n’a pour seul effet que de mettre en danger nos ressortissants travaillant ou voyageant dans le Sahel et au Moyen-Orient.

La situation en Syrie, où règne depuis deux ans une guerre civile confessionnelle dans un pays autre fois laïc où toutes les religions vivaient en paix, influe sur la situation sécuritaire en Irak. En effet, en mai 2013, la violence y a franchi un niveau que l’on n’avait plus connu depuis 2006 mais aujourd’hui elle ne s’exerce plus contre l’occupation américaine mais oppose les Chiites et les Sunnites.

Après plusieurs mois de manifestations et de désobéissance civile des minorités sunnites dans les gouvernorats de l’Est et du Nord de l’Irak contre la politique du gouvernement Maliki, la répression sanglante par les forces de l’ordre, le 23 avril dernier, des manifestations de la place de Hawija [1] a constitué le facteur générateur de crise qui a fait basculer les régions sunnites d’un état de protestation à celui de révolte armée.

Début mai, de petites révoltes menées par des tribus sunnites ont éclaté un peu partout dans les zones sunnites irakiennes. Des localités situées dans les gouvernorats de Salah Dine, Diyala et Mossoul ont été attaquées et sont tombées seulement en quelques heures entre leurs mains. Les tribus d’Al Anbar ont annoncé la formation d’une armée tribale pour défendre le gouvernorat à la fois des groupes armés et de l’armée irakienne.

Par contrecoup, Bagdad, où cohabitent Sunnites et Chiites, a connu une vague d’attentats, sans précèdent depuis 2006. En mai, 684 attentats ont été recensés, réalisés à l’engin explosif, à la bombe magnétique, à la voiture piégée ou par ceintures d’explosifs. Ils ont fait, selon nos sources, 341 morts et 636 blessés [2]. Comme d’habitude, les militaires, les membres des forces de l’ordre et de Sahwa [3], les parlementaires, les hommes politiques et les fonctionnaires publics étaient ciblés par ces attentats. Mais ils ont aussi visé des rassemblements ordinaires de simples citoyens irakiens dans des gares routières, des marchés de fruits et légumes ou des restaurants.

Les événements de Hawija ont mis en lumière plusieurs facteurs qui sous-tendent la situation sécuritaire actuelle en Irak :

  • la fragilité des forces de l’ordre locales dans les zones de combats. Elles n’ont résisté que quelques heures dans certaines localités;
  • l’émergence au grand jour de l’Organisation des Hommes de Nakshbandyia qui est une émanation armée du parti Baas interdit. Elle s’est opposée aux forces de l’ordre dans les zones de Slimane Baig, Kara Taba et Mossoul;
  • les groupes armés, proches d’Al-Qaida, ont exploité l’incident de Hawija pour essayer de faire basculer l’Irak dans la guerre civile confessionnelle à l’image de la Syrie. La preuve en est les multiples attentats et attaques qui ont visé les mosquées sunnites et chiites à Bagdad et à Diyala;
  • beaucoup des villes qui sont tombées entre les mains des membres des tribus sunnites se trouvent sur la bande frontalière avec le Kurdistan. Ce qui peut faire penser que les Kurdes jouent un certain rôle dans l’instabilité dans ces zones ou bien ne sont pas mécontents de montrer à Maliki que sans leur aide il sera incapable de maintenir l’ordre dans le Nord. Pour la première fois, cette situation sécuritaire a contraint le Premier Ministre à négocier sur le fond avec les Kurdes. L’accord signé entre Maliki et le Kurdistan, s’il est appliqué, apportera satisfaction à la majorité des revendications kurdes [4].

Devant ce qui se passe en Libye, en Syrie et aujourd’hui en Irak, on mesure tous les risques que fait courir aux citoyens français dans ces régions notre diplomatie qui soutient pour des raisons idéologiques tout fauteur de trouble dès lors qu’il se déclare révolutionnaire en sous-estimant la dimension confessionnelle qui sous-tend tous ces conflits à plus ou moins long terme.

En Lybie [5], où faute d’un pouvoir fort et organisé, les djihadistes de tous bords disposent d’un sanctuaire pour déstabiliser tout le Sahel. En Syrie où les laïcs et les musulmans modérés en résistance contre le pouvoir à Damas sont progressivement supplantés par des islamistes radicaux, mieux organisés, plus entrainés et plus fanatiques. Le 9 avril dernier, en Syrie, les masques sont enfin tombés. Abou Bakr Al-Baghdadi, chef de la branche irakienne d’Al-Qaida, a annoncé dans un message audio la fusion de son groupe avec le Jabhat Al-Nosra (Front du soutien), principale organisation djihadiste armée en Syrie [6]. Le nouvel ensemble s’appelle Al-Qaida en Irak et au Levant. Cette annonce intervient juste après l’appel lancé par le successeur de Ben Laden, Ayman Al-Zawahiri à l’instauration d’un régime islamique en Syrie, après la chute du régime de Bachar Al-Assad.

Au lieu de défendre comme les Allemands nos intérêts stratégiques et économiques dans l’Iran et l’Irak Chiite qui seront les puissances régionales de demain, notre diplomatie, à l’écoute de nos révolutionnaires en chaise longue, joue aujourd’hui les harkis des intérêts sunnites les plus radicaux, frères musulmans sponsorisés par le Qatar, salafistes par l’Arabie Saoudite et met en danger nos citoyens dans le Monde et demain en France.

Car en multipliant les déclarations de soutient à ces révolutionnaires qui sont aujourd’hui débordés par les groupes islamistes radicaux, François Hollande et Laurent Fabius ne satisfont aucun des camps du conflit syrien où la dimension confessionnelle, qui déchire le monde musulman depuis des siècles, devient chaque jour un facteur de plus en plus déterminant. Les uns nous reprochent de ne pas assez les aider, les autres de soutenir les terroristes. Et, au final, nous exposons tous nos expatriés et nos voyageurs à la vindicte des groupes armés radicaux qui sévissent au Sahel et au Moyen-Orient et, de plus, nous perdons des opportunités économiques immenses en Irak et en Iran.

Il est grand temps que nous arrêtions de nous conduire en donneurs de leçons au Monde entier alors que notre pays sombre un peu plus chaque jour dans la récession économique par la faute d’une classe politique de gauche qui n’a toujours pas compris que la puissance économique est plus que jamais la condition nécessaire de toute politique d’influence.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Elle a causé plus de 50 morts et d’une centaine de blessés dans la population civile de cette petite ville au Sud-Ouest de Kirkuk. A la suite de cette malheureuse affaire, Maliki a remplacé plusieurs hauts responsables des forces de l’ordre.

[2] 68% des victimes de ce mois de mai sanglant se sont produites dans la seconde moitié du mois lors de 4 journées et nuits d’attentats coordonnés à la voiture piégées et à l’engin explosif : le jeudi 16 mai, une dizaine de voitures piégées frappe Bagdad dans la soirée faisant 137 victimes; le vendredi 17 mai, 4 attentats à l’engin explosif font 42 morts et 95 blessés; le dimanche 26 mai, huit voitures piégées et des engins explosifs font 60 morts et plus de 150 blessés à Bagdad; le jeudi 30 mai, neuf voitures piégées et plusieurs engins explosifs ont causé 185 morts et blessés.

[3] Milice armée.

[4]

  • A. Élaborer une loi spéciale de dédommagement des victimes des attaques par armes chimiques d’Anfal et des fosses communes. Le gouvernement central doit consacrer à cet égard une somme adéquate pour venir en aide aux réfugiés et aux déplacés présents actuellement au Kurdistan.

  • B. Former un Haut Comité Sécuritaire pour améliorer la coopération en matière de sécurité entre les deux parties. Former une Commission d’enquête mixte pour enquêter sur la gestion de la sécurité dans les zones litigieuses, faite par les commandements des opérations, notamment par celui de Dijla.

  • C. Œuvrer en commun pour rédiger une loi de tracé de frontières administratives des gouvernorats telle qu’elle a été présentée par la présidence de la république au parlement irakien et une autre loi abrogeant les décisions du Conseil de Commandement de la Révolution de l’ancien régime telle qu’elle a été présentée par le conseil des ministres irakien.

  • D. Former une commission d’enquête mixte pour enquêter sur les problèmes de loi, de douanes, de voyage, de postes-frontières, etc. qui existent entre les deux gouvernements.

  • E. Demander au parlement irakien de bien réexaminer la loi du budget national de 2013 et de ses annexes.

  • F. Former une Commission technique mixte pour conclure un accord sur la loi Pétrole et Gaz et sur celle de partage de revenus.

  • [5] Où notre diplomatie soutient des dirigeants provisoires sans pouvoir et ignore ceux qui comptent car ils ont avec eux la force des armes.

    [6] Le Front Al-Nostra a été fondé par des combattant d’Al-Qaida qui avaient combattu l’occupation américaine en Irak entre 2003 et 2009 et qui étaient venus soutenir la « révolution syrienne ».

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