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La guerre au Mali n’est pas la guerre d’Indochine

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La déclaration d’un officier français reproduite dans le Journal du Dimanche [1] a pu paraîitre, pour certains, alarmiste quant à la dureté des combats qui attendent nos forces. Elle mérite donc d’être replacée dans son contexte. Certes, ne pas sous-estimer son adversaire est une condition essentielle du succès sur le terrain. Mais toute évaluation de niveau tactique doit être replacée dans son contexte stratégique.

D’abord quelques mots sur l’ennemi. Certes, il est bien armé et commandé par des chefs aguerris et fanatiques au moins pour AQMI et le MUJAO. C’est moins le cas pour Ansar Dine. Tous les combattants ne sont pas aussi fanatisés et entraînés que leurs chefs. Au moins la moitié des effectifs de ces groupes sont là pour la solde qu’ils reçoivent et ont été récemment recrutés et entraînés.
Leur vulnérabilité provient surtout de l’absence de moyens aériens, de moyens de renseignement sophistiqués et de la difficulté accrue qu’ils auront sur la durée à se ravitailler en carburant et munitions, si l’Algérie ferme ses frontières comme elle l’a promis.

De plus, à la différence de l’Indochine, nos forces vont évoluer dans un milieu (terrain et population) qui leur est dans sa grande majorité favorable et sur lequel elles ont acquis une grande expérience depuis 50 ans (1969 première intervention au Tchad).

La zone des opérations à venir se déploiera probablement sur une surface d’environ 3 millions de km² (près de 4 fois la superficie de la France). C’est la zone que devra couvrir notre renseignement, les rebelles et djhiadistes se moquant des frontières. Elle s’étend du Nord au Sud, sur environ 1500 km, depuis le 20ème parallèle au Sud de Tamanrasset à une région du Sahel qui englobe l’Est mauritanien, le Nord-Mali et le Nord-Niger. D’Ouest en Est, elle possède 2000 km de large depuis de la région frontalière mauritanienne de Nema - d’Adel Bagrou [2] - Bassiknou jusqu’à la région d’Arlit [3] - Agadès - Nakoro [4] au Niger, et comprend la boucle du Niger où se situent les villes de Gao et Tombouctou.

Cette zone d’opérations est, pour les trois quart, désertique et relativement plate. Les principaux reliefs de la zone sont situés à l’Est du Mali, dans le district de Kidal (10 000 habitants), lieu d’origine des Touaregs de la tribu des Ifoghas et qui culmine à 890m. Ce massif cristallin, extension du Sahara central, est longé à l’Ouest par la vallée du Tilemsi, axe Sud-Nord permettant d’atteindre la frontière algérienne et qui traverse les bourgades de d’Aguelhok (8 000 habitants) et de Tessalit (5 000 habitants).

Cette zone a été conquise, début 2012, par les rebelles du MNLA et est désormais contrôlée par les islamistes d’Ansar Dine qui est en partie un « spin off » du MNLA. C’est probablement dans cette région que nos forces peuvent rencontrer une hostilité de la population locale si, au préalable, aucune négociation politique avec les dirigeants maliens n’a abouti à un statut particulier pour cette région [5].

Au Nord du fleuve Niger on débouche rapidement sur un ensemble de plaines ensablées avec des altitudes comprises entre 250 et 350m. Elles sont traversées par une seconde piste Nord-Sud, itinéraire traditionnel des caravanes de sel. Elle permet, à partir de Tombouctou, de rejoindre la frontière algérienne en passant par le point d’eau d’Arouane (260km Nord de Toumbouctou) et par l’ancien bagne de Taoudenni (750 km Nord de Tombouctou) où les Touaregs exploitent depuis toujours le sel gemme, puis elle passe par Téghasa aux confins Nord-Ouest du Mali pour rejoindre Tindouf en Algérie.

D’Est en Ouest, en dehors du fleuve Niger, il n’existait traditionnellement au Nord-Mali qu’une seule piste qui reliait Tamanrasset (Algérie) à Tessalit - Taoudenni, via le poste frontière algérien de Tinzaouaten.

Les spécificités de la guerre en zone sahélienne

Le contrôle des villes et bourgades, qui n’existent que parce qu’il y a des points d’eau, est l’enjeu déterminant de la guerre en zone semi-désertique et désertique.

En zone sahélienne et désertique, il est très difficile lorsqu’on se déplace de déjouer le repérage aérien qui est facilité par l’absence de végétation et de nuages (en saison sèche).
L’intervention française de 1977-1978 contre le Polisario le démontre clairement. Ce mouvement sahraoui, créé et soutenu par Alger, voulait asphyxier la Mauritanie, en s’attaquant au chemin de fer minéralier reliant Zouerate à Nouadhibou, pour supprimer sa seule ressource exportable : le fer de Zouerate. Le dispositif, qui permit de sécuriser l’acheminement du fer, comprenait des « Breguets Atlantics » de la Marine pour le repérage des colonnes du Polisario [6] et des « Jaguars » de l’Armée de l’Air, basés au Sénégal et ravitaillés en vol, pour les détruire [7].

Je voudrais aussi rappeler l’expérience acquise au Tchad où le dispositif Epervier est stationné depuis 1986. C’est grâce à ces forces pré positionnées que la France a pu donner si rapidement un coup d’arrêt aux colonnes djhiadistes qui voulaient foncer vers Bamako. L’opération Epervier avait été déclenchée début février 1986, après le franchissement du 16e parallèle, par les forces armées libyennes venues soutenir Goukouni Oueddei qui avait été renversé, fin 1981, par Hissène Habré avec le soutien de la France. Elle succédait à l’opération Manta qui, en 1983-1984, avait été déclenchée pour les mêmes raisons.

En conclusion, cette guerre doit d’abord être une guerre du renseignement aérien et terrestre mettant en œuvre drones, hélicoptères et avions de la marine et de l’armée de l’air et forces spéciales.

Si nous arrivons à mobiliser les moyens de renseignement nécessaires, la progression vers le Nord de nos forces terrestres accompagnant celles du Mali et de la CEDEAO s’effectuera sans surprise et nous pourrons intercepter et détruire les attaques des petites colonnes rebelles qui chercheront à s’y opposer et protéger nos arrières par des actions combinées aéroterrestres.

A cette condition, nos pertes devraient être inférieures à celles que nous avons connues en Afghanistan (en moyenne deux tués par mois) et sans commune mesure avec celles subies en Indochine (285 tués par mois, rien que pour nos soldats métropolitains) [8].

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] « Les soldats français, comme les maliens qui l’ont déjà combattu, n’ignorent pas la valeur de l’adversaire. « Sans doute que, depuis la guerre d’Indochine, l’armée française n’a pas affronté un tel ennemi. Ils ont du matériel de dernière génération, du RPG, peut-être du sol-air, des tanks qu’ils ont récupérés de l’armée malienne. Avant d’attaquer, ils font de la planification, du renseignement. Ils sont très bons. » Et de préciser que les islamistes ont repris à leur compte la stratégie que les caravaniers utilisaient en leur temps pour attaquer les postes français dans le désert. « Ils ont juste remplacé les chameaux par des pick-up. »

[2] Où un gendarme mauritanien a été enlevé fin décembre 2011.

[3] Où cinq Français salariés d’Areva et de Satom, un Togolais et un Malgache ont été enlevés le jeudi 16 septembre par AQMI.

[4] 300 km Sud d’Agadès où, dans la nuit du 14 au 15 octobre 2012, 6 travailleurs humanitaires africains travaillant pour une ONG nigérienne ont été enlevés.

[5] Cette région est, depuis mars 2012, la huitième région administrative du Mali. Elle s’étend sur 260 000 km². Elle recouvre principalement le massif de l’Adrar des Ifoghas.

[6] Le radar des « Atlantics », optimisé pour repérer les périscopes de sous-marins, a fait merveille sur la mer de sable mauritanien.

[7] C’est aussi cette pression exercée contre le Polisario, créé par Alger pour contester l’annexion d’une partie du Sahara occidental par le Maroc, qui permit la libération des otages de Zouérate. Boumediene accepta de les remettre aux autorités françaises, espérant par ce geste éviter la destruction complète du potentiel du Polisario. C’est cette expérience qui fait espérer que les groupes terroristes n’exécuteront pas leurs otages en cas d’intervention militaire car c’est leur meilleure carte dans une ultime négociation.

[8] 80 929 tués dont 20 524 métropolitains, 15 657 africains, 32 255 autochtones. Les 20 524 métropolitains se décomposent ainsi : 2 447 officiers, 6 323 sous-officiers et 1 1730 hommes du rang.

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