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La crise au Mali : la manœuvre diplomatique

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La stratégie diplomatique qui accompagne toute action militaire vise à créer ou maintenir un contexte politique favorable aux opérations militaires et à préparer la sortie de la crise. Une analyse des forces et faiblesses des groupes terroristes qui y opèrent et des positions des acteurs étatiques régionaux qui ont des intérêts à défendre au Sahel est nécessaire pour définir une stratégie diplomatique de sortie de crise.

Contexte général

Quatre groupes se partagent et s’affrontent parfois pour le contrôle du Nord-Mali. Deux groupes ont leurs racines hors du Mali : l’AQMI d’origine algérienne et le MUJAO d’origine mauritanienne (et marocaine ?). Ces deux premiers groupes déploient leurs actions sur la totalité de la zone sahélienne. Les deux autres sont d’origine touareg et malienne. Il s’agit de l’Ansar Dine (ou Eddine) islamique et le MNLA laïque qui a été le vecteur initial de la rébellion Azawad.

L’AQMI et le MUJAO s’appuient sur l’Ansar Dine, originaire du Mali, pour tisser des liens d’allégeance à leur cause avec la population locale. Ils bénéficient aussi de la situation de précarité économique qui y règne pour enrôler dans leurs rangs les jeunes de cette région.

L’analyse de la biographie des chefs de ces mouvements est essentielle pour comprendre les options qui s’ouvrent à la stratégie diplomatique.

Mali

Rebelles touaregs au Mali au 5 avril 2012

Analyse des groupes terroristes et rebelle [1]

Le groupe terroriste le plus radical est l’AQMI, Al Qaïda au Maghreb islamique. Avant janvier 2007, il était connu sous le nom de Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC). Son affiliation au réseau Al-Qaida aurait obtenu l’approbation d’Oussama Ben Laden. C’est lui qui détient les otages français.

L’AQMI est d’origine algérienne. Pour beaucoup de ses cadres, comme pour son émir et fondateur Abdelmalek Droukdel [2], le Mali n’est qu’une étape dans le contrôle du Sahel et dans la conversion de ses habitants à un islam radical. Pragmatique, Abdelmalek Droukdel, considère que c’est une erreur de vouloir imposer toutes les règles de l’islam d’un seul coup à la population, comme essaie de le faire Oumar Ould Hamaha d’Ansar Dine à Tombouctou. Dans un message diffusé en Mai 2012 sur le site internet « Sahara Media », il conseille à ses « frères » : « d’apporter la sécurité aux populations des villes contrôlées, notamment Tombouctou, Gao et Kidal et de leur fournir les services essentiels que sont la santé, la nourriture, l’eau, l’électricité, le gaz et le carburant ». A l’égard de la rébellion touareg du MNLA, il préconise d’éviter « les provocations » et invite AQMI à coopérer pour établir des « règles communes » et rejeter les conflits. Concernant le Mouvement islamiste Ansar Dine (le mot « ansâr », d’origine arabe, désigne les compagnons du prophète de l’islam), prépondérant dans la région, il conseille à ses militants de le laisser appliquer le projet d’imposition de la charia dans la région de l’Azawad, le nord du Mali, et de s’occuper de leurs propres activités de jihad (guerre sainte) global sur la terre du Maghreb islamique.

Nabil Makhloufi [3], qui dirigeait ce mouvement au Mali, a trouvé la mort dans un accident de voiture dans la région de Gao, au Mali, le 9 septembre 2012. Yahya Abou El-Hammam, qui l’aurait remplacé, est probablement plus un délégué à la coordination qu’un chef. Il a été choisi par Abdelmalek Droukdel, vraisemblablement parce qu’il avait servi sous les ordres de tous les chefs de katibas historiques. En effet, né en 1978 à Reghaïa, près d’Alger, Yahya Abou El-Hammam n’a que 34 ans. Il a fait ses premières armes dans sa région natale, participant à plusieurs attaques contre les forces de sécurité algériennes. Puis, au tournant des années 2000, il devient le bras droit de Mokhtar Ben Mokhtar, 40 ans, vétéran algérien de la guerre en Afghanistan [4]. Ces dernières années, Yahya était l’adjoint d’Abou Zeid [5] (47 ans), l’homme qui avait enlevé sept otages, dont cinq Français, au Niger, en septembre 2010.

Mujao Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest, créé en mars 2011, à l’occasion du « Printemps arabe », est issu, en partie, d’une scission de l’AQMI. Son chef, Abou Gaâgaâ, est d’origine mauritanienne [6]. Un autre Mauritanien, Hamada Ould Mohamed Kheirou [7], apparaît dans un message vidéo. Il serait l’idéologue du mouvement. Le chef militaire serait Ahmed Tilemsit [8], qui, comme son nom l’indique, est un Arabe du Tilemsi, c’est-à-dire de la région de la boucle du Niger, proche de la Mauritanie. Il compterait près de 2000 combattants fortement équipés en armes et matériels. Il s’est attaqué principalement aux intérêts algériens [9] ce qui amène certains responsables à Alger à y voir la main de Rabat. Le Mujao est présent à Gao, la plus grande ville du nord du Mali.

Le MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad) est un mouvement rebelle, authentiquement touareg et laïc, qui prend ses racines au Mali dans l’Adrar des Ifoghas (Région de Kigal). Aujourd’hui, il est très affaibli par la défection d’une partie de ses chefs qui ont créé, début 2012, le groupe malien islamique : l’Ansar Dine. Dans leurs communiqués, les responsables du MNLA traitent l’AQMI et l’Ansar Dine de mouvements narco-terroristes.

Le chef d’Ansar Dine est Mohamed Ag Najem. Il y est probablement né à la fin des années 50. Son père, de la tribu Kel Adagh, a été tué par l’armée malienne lors de la rébellion touareg de 1963, à une époque où il était un jeune enfant. À 20 ans, il a été recruté comme volontaire dans l’armée de Kadhafi. Il a servi en Libye et au Tchad avant de retourner au Mali pour prendre part, dans les années 1990, à la rébellion touareg dirigée par Iyad Ag Ghaly. Rejetant l’accord de paix signé entre le gouvernement malien et les rebelles touaregs, il retourne en Lybie et devient colonel de l’armée libyenne et commande une unité libyenne dans l’oasis de Sabha. A la fin de 2011, il revient au Mali et fédère plusieurs clans touaregs et des déserteurs de l’armée libyenne au sein du MNLA. Après avoir battu l’Armée malienne et conquis l’Azawad, le MLNA n’a pas pu résister à l’infiltration des groupes islamistes de l’Ansar Dine et d’AQMI dans les villes de Gao et Tombouctou et, après de durs combats, il en a été chassé. Il ne tiendrait plus désormais que de petites localités comme Ménaka, Anderamboukane au Sud de l’Adrar des Ifoghas et contrôle probablement encore la route en provenance de Niamey au Niger où le colonel Ag Gamou, un chef touareg resté fidèle à l’armée malienne, et ses hommes se sont réfugiés.

La création par la fraction islamique du MNLA d’Ansar Dine « défenseurs de la foi » complique la situation au Nord-Mali. Fondé par Iyad Ag Ghaly [10], début 2012, ce mouvement islamique malien disposerait de l’appui de l’émir du Qatar. Iyad Ag Ghaly était l’un des dirigeants les plus éminents de la rébellion touareg dans les années 1990. Âgé de 54 ans, c’est un Irayakan, de la grande famille des Ifoghas, originaire de la région de Kidal. C’est la tribu dont est également issu le chef du MNLA et qui fournit l’essentiel de ses troupes. Ces deux chefs se connaissent depuis toujours. Iyad Ag Ghaly a réussi à fédérer autour de lui des musulmans du Nord-Mali aux personnalités et parcours très différents [11] et qui lui assurent le soutien d’une part importante des chefs de clans touaregs.

Quel doit être le rôle de la diplomatie et de la France ?

La France doit dans cette affaire jouer discrètement et ne s’impliquer dans le règlement de cette crise qu’à la demande des pays de la CEDEAO et avec l’accord formel de l’Algérie qui est la puissance régionale dominante. L’Algérie estime depuis l’indépendance que le Sahara lui appartient et elle possède 1370 km de frontières avec le Mali. De plus, elle est en mesure de contrôler la piste Est-Ouest qui relie Tamanrasset (Algérie) à Tessalit-Taoudenni, via le poste frontière algérien de Tinzaouaten, et permet aux groupes terroristes de se déplacer de la Libye à la Mauritanie.

Paris doit poser des conditions strictes à son soutien

En effet, si l’on accepte d’aider sans condition les dirigeants de Bamako à reprendre le contrôle du Nord de leur territoire on fera le jeu de l’AQMI, car le problème touareg restera endémique comme l’a été au Tchad celui des Toubous et des Zaghawas, jusqu’à ces guerriers du Nord s’emparent définitivement du pouvoir à Ndjamena.

Si, au contraire, la France et les pays qui soutiennent le Mali réussissent à convaincre les autorités maliennes d’accepter une large autonomie de l’Azawad, comme a su le faire Madrid avec le Pays Basque pour mettre fin au terrorisme de l’ETA, le MNLA, voire tout ou une partie des dirigeants de l’Ansar Dine, pourraient accepter d’aider, ou même de prendre à leur charge la reconquête du Nord et ce faisant on affaiblirait AQMI et le MUJAO. Le rapprochement entre le MNLA, l’Ansar Dine et Bamako, est d’ailleurs le scénario privilégié par Alger. Abdelkader Messahel, ministre algérien chargé des Affaires maghrébines et africaines, l’aurait dit, en juillet, aux deux émissaires français qu’il a invités à Alger pour une réunion de travail.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] Toutes ces biographies proviennent d’articles des sites : Jeune Afrique ; MauriMedia ; L’Essor ; Sahel Intelligence.

[2] Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud (son nom de guerre), est un Algérien âgé de 42 ans. Natif de Meftah (région de Blida). Il a grandi dans une famille modeste et fortement marquée par la religion. Les premières opérations des groupes islamistes, à la fin des années 1980, fascinent le jeune homme. Baccalauréat en poche, il noue d’abord des contacts avec des combattants du Front islamique du salut (FIS). C’est l’un d’eux qui lui recommande d’entamer des études de chimie. Il obtient sa licence en 1994. Un an plus tôt, il avait rejoint les rangs de la lutte armée, au sein du Groupe islamique armé (GIA). Sa formation universitaire fait de lui un artificier. Il gravit les échelons et se fait remarquer, notamment par Hassan Hattab, qu’il suivra lorsque ce dernier créera le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Lorsque le « Printemps arabe » survient, Droukdel comprend très vite l’intérêt de ce désordre régional pour la rhétorique salafiste. Il ordonne l’infiltration de groupes en Tunisie, qui interviendront quelques semaines plus tard en Libye. Dans le même temps, il s’efforce d’asseoir son autorité au Sahel. En novembre 2011, il remplace son émissaire permanent, Yahia Djouadi (chef de la zone 9, Sud-Algérie et Sahel), par Nabil Makhloufi (mort dans un accident de voiture, le 8 septembre), jugé plus efficace pour contrôler Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar, les principaux chefs des katibas au Mali.

[3] Son passé de « dur des durs » dans l’armée algérienne et, surtout, sa grande expérience d’artificier avec le GIA (Groupe islamique armé) dans les années 90, puis avec le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), l’ont tout naturellement propulsé à la tête des groupes d’AQMI dans le désert. Sa prise en main des jihadistes actifs dans la zone saharienne depuis le début de l’année, a eu un rôle déterminant dans l’offensive d’AQMI et des autres groupes jihadistes dans le nord du Mali. L’émir Abdelmalek Droukdel l’avait félicité pour avoir réussi là où ni Abdelhamid Abou Zeïd, ni l’autre chef militaire Mokhtar Ben Mokhtar n’ont pu marquer de point décisif : réconcilier les divers groupes armés qui se réclamaient d’Al Qaïda au Maghreb islamique. Ce véritable tour de force a permis à Nabil Makhloufi de désamorcer les interminables querelles entre katibas sur les questions de leadership. Il a surtout mis fin aux heurts qui se produisaient sur le partage des butins tirés du commerce fructueux des otages occidentaux.

[4] Il quitte son Algérie natale en 1990, à 18 ans, pour se rendre en Arabie saoudite où il accomplit le petit pèlerinage et décide d’aller mener le jihad en Afghanistan contre les soviétiques où il perd un œil. Il rejoint les fondamentalistes du Hezb-e-Islami dirigés par Gulbuddin Hekmatyar. De retour chez lui, fin 1992, il met sur pied une katiba estampillée Groupe islamique armé (GIA), qui rayonne dans le Sahara, au-delà des frontières algériennes. En 1998, il intègre le GSPC. C’est au cours de ces années qu’il gagne son surnom de Mister Marlboro, en référence aux trafics qu’il a mis en place. En mars 2012, il est en Libye pour acheter des armes. Il connaît les chefs du mouvement Ansar Dine et de Mujao qu’il a rencontré à Tombouctou en Avril et Mai 2012. Il connaît aussi Iyad Ag Ghali et Hamada Ould Mohamed Kheirou qui est un ancien compagnon d’armes au sein d’AQMI.

[5] L’Algérien Abou Zeid est le chef de l’une des deux principales katibas d’AQMI au Mali. Décrit comme un sanguinaire, froid et fanatique. Il a d’abord été, dans les années 1980, un contrebandier qui a effectué plusieurs séjours en prison. Le véritable nom d’Abou Zeid est, selon le journal « Jeune Afrique », Mohamed Ghedir, né à Debded, un poste-frontière avec la Libye.

[6] D’après les Algériens, il aurait été libéré par le Mali suite à la demande de la France qui a obtenu en échange le retour de son espion Pierre Camatte et serait contrôlé par les Services secrets marocains.

[7] Âgé de 42 ans, le Mauritanien Hamada Ould Mohamed Kheirou est un des fondateurs du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Plusieurs fois incarcéré puis évadé de la prison de Nouakchott en 2005 pour avoir perpétré des actes de violence dans une mosquée qui, selon lui, ne s’inscrivait pas suffisamment dans un islam « véritable ». La seconde, c’est en 2009, à Bamako. Arrêté pour avoir aidé à ravitailler la katiba de Mokhtar Ben Mokhtar dans le Nord-Mali et pour s’être spécialisé dans la fabrication d’explosif. Il est relâché en 2010, sans doute dans le cadre des négociations autour de la libération de l’otage français Pierre Camatte.

[8] Quels pourparlers pour la reconquête du nord du Mali ? - RFI

[9] En novembre 2011, enlèvement de trois humanitaires européens à Tindouf. 4 mars 2012, attentat de 2 kamikazes à Tamanrasset, avec une Toyota bourrée d’explosif contre la brigade de gendarmerie algérienne. Bilan : 23 Algériens blessés, dont 17 gendarmes. 5 avril 2012, enlèvement de sept diplomates algériens, dont le consul Boualem Sias, le 5 avril dernier, à Gao. 29 juin, attaque contre le Commandement régional de la Gendarmerie nationale d’Ouargla.

[10] C’est en Libye, pourtant, qu’il a fait ses armes au début des années 1980 : il a une petite vingtaine d’années quand il choisit de rejoindre la Légion islamique du colonel Kaddafi.

[11] Alghabass Ag Intalah qui est le fils d’Intalah Ag Attaher, ancien chef traditionnel des Ifoghas de la région de Kidal. Il a brièvement participé à la rébellion des années 1990, mais il a surtout un parcours politique : maire puis député de Kidal, poste qu’il occupait à l’Assemblée Nationale jusqu’à sa défection en février 2012. Il serait l’artisan du soutien du Qatar à Ansar Dine. Récemment, il faisait partie de la délégation d’Ansar Dine qui a été reçue par le médiateur Blaise Compaore.

Ahmada Ag Bibi. Au début des années 1990 déjà, ils se côtoyaient au sein du Mouvement populaire de l’Azawad (MPA). Député à l’Assemblée Nationale malienne, Ag Bibi est un grand militant de la cause touarègue. Quand le Nord se soulève de nouveau, en janvier 2012, il rejoint le MNLA, puis Ansar Eddine, tant par réalisme que par amitié envers « Iyad ». Il est peu attaché à la laïcité, mais croit, comme Alghabass Ag Intallah, le diplomate d’Ansar Dine, dans la négociation, « aux solutions pacifiques », et pourrait de ce fait être l’homme du dialogue. « Seule l’Algérie peut jouer un rôle déterminant de médiateur entre les parties au conflit », estime-t-il.

Cheikh AG AWISSA. Les deux hommes ont suivi leur formation militaire en Libye et ont combattu ensemble au Liban, dans les années 1980. L’homme est un combattant aguerri et a fait ses preuves dans la rébellion de 1990. Par ailleurs, certains le considèrent comme le « bras gauche » d’Iyad. C’est lui l’homme qui parlait sur la première vidéo postée par Ansar Dine en mars 2012. Récemment, c’était lui le chef de la délégation qui a été reçue à Ouagadougou.

Oumar Ould Hamaha, extrémiste islamique convaincu est originaire de Tombouctou dont il a dirigé la conquête. Il a vécu a Kidal où il était commerçant, jusqu’à ce qu’il se convertisse à un Islam radical dans les années 2000. Il est connu à Kidal pour ses prêches. Il fut, pendant une dizaine d’années, l’homme de confiance et le bras droit de Mokhtar ben Mokhtar avant de rejoindre Ansar Dine. Il connait bien AQMI et les autres mouvements tels que le MUJAO.

Deïty AG SIDAMOU est aussi député à l’Assemblée Nationale. Il est réputé être l’un des plus grands trafiquants de drogue de la région. C’est un Touareg Idnane du Nord-Est de Gao. Il a quitté le MNLA avec Iyad Ag Ghaly. Il serait en Algérie où il assure le ravitaillement (en carburants et autres) du mouvement, par le biais de son important réseau de trafiquants.

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