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Erdogan a-t-il les moyens pour concrétiser son projet islamique et pan-Ottoman ?

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Où la surenchère verbale et les provocations militaires d’Erdogan risquent-elles de conduire ?

Que peut faire la France et l’UE pour s’y opposer ?

La France, Chypre, la Grèce et l’Italie ont lancé mercredi 26 aout l’initiative Eunomia, afin de « contribuer à la baisse des tensions en Méditerranée orientale ». Eunomia se traduira par des exercices interarmées. Le premier se tient sur trois jours, entre Chypre et Grèce, il rassemblera les quatre pays de l’initiative. La France a déployé dès lundi 24 aout trois Rafale de la 4e escadre de chasse de Saint-Dizier. La France aligne en outre la frégate La Fayette, actuellement en mission MEDOR (méditerranée orientale). Deux Rafale et le La Fayette avaient déjà participé à un exercice commun avec Chypre, il y a une quinzaine de jours. Les chasseurs s’étaient ensuite posés en Crète, en forme de soutien à la Grèce. L’Italie a déployé une frégate, Chypre des hélicoptères et un navire, et la Grèce, des F-16, des hélicoptères et une frégate. Furieux de cette initiative, Erdogan a insulté la France et son Président qu’il a jugé « en état de mort cérébrale » et le 30 aout il s’en est pris ouvertement à Athènes déclarant à propos des ressources gazières qu’il convoite illégalement :
« Le peuple grec accepte-t-il ce qui va lui arriver à cause de ses dirigeants cupides et incompétents ? Lorsqu’il s’agit de combattre nous n’hésitons pas à donner des martyrs. Ceux qui s’érigent contre nous en Méditerranée sont-ils prêts aux mêmes sacrifices ? »

Analyse des forces et faiblesses et des cartes dans la main du nouveau sultan de la Sublime Porte.
Erdogan veut retrouver le leadership spirituel et temporel que la Sublime Porte a exercé sur le pourtour méditerranéen, en Irak et sur la péninsule arabique.
Sa stratégie se déploie à plusieurs niveaux sur lesquels il est, plus ou moins, en position de force.

Au niveau spirituel, il se voit incarner le renouveau islamique que voulait promouvoir Al Banna lorsqu’il crée les Frères Musulmans en 1933 et il veut s’en servir comme levier pour reconstituer l’Empire Ottoman. La transformation de Sainte-Sophie en mosquée dans l’ancienne capitale de l’Empire byzantin constitue la preuve éclatante de son objectif islamique. Pour le mettre en œuvre, Erdogan s’appuie à l’intérieur de la Turquie sur le Parti de la justice et du développement ou AKP (en turc : Adalet ve Kalkınma Partisi) qui malgré une érosion récente du aux difficultés économique reste le socle de son pouvoir.

Au niveau diplomatique, Recep Tayyip Erdogan se comporte comme le successeur des califes ottomans, agissant comme si le XXème siècle n’avait pas existé. Il développe une stratégie révisionniste, qui consiste à s’affranchir de tous les traités internationaux comme celui de Lausanne de 1923 et de ceux qui établissent le droit maritime international. Il vient de concrétiser cette stratégie près de l’île grecque de Kastellórizo, située à 3 kilomètres de la Turquie, en y envoyant prospecter un bâtiment de recherche sismique escorté par des navires de guerre. La nature grecque de cette ile a été reconnu par le traité de Lausanne de 1923 que la Turquie n’a d’ailleurs pas ratifié. Cette stratégie est habile car créant un fait accompli, il rend ainsi responsable d’escalade les grecs si ceux-ci décidaient d’employer la force pour l’obliger à se retirer de leur ZEE. A Ankara, le 13 aout, il menace « Nous disons si vous attaquez notre Oruc Reis (le bâtiment de recherche sismique), vous aurez à payer un prix très élevé ».

Au niveau militaire, il dispose une armée de terre importante presque entièrement déployée dans les zones de peuplement kurde et aux frontières de la Syrie et de l’Irak. Une bonne aviation mais une marine qui n’est pas compétitive face aux grandes marines occidentales car elle ne possède ni SNA ni porte-avion. La France seule [1], avec ses 5 SNA dont trois sont opérationnels en permanence, est capable d’envoyer par le fond la flotte turque de méditerranée orientale. Ainsi, Erdogan n’a pas les moyens maritimes de ses ambitions. Néanmoins la très grande proximité d’une vingtaine d’iles grecques de la cote turque comme Kastellorizo (3km) rend leur conquête possible par surprise sans réelle supériorité maritime alors que leur reprise demanderait aux Grecs des moyens sans commune mesure avec ceux utilisés pour les occuper.

Au niveau économique, même si récemment la Turquie cherche à diversifier ses échanges vers la Russie, l’Irak et les pays du Golfe, elle reste très vulnérable à des sanctions économiques européennes. En effet, L’Union européenne à 28 demeure le premier partenaire commercial de la Turquie avec une part de marché stable (42% en 2018 et 41% en 2019). La Turquie a exporté pour 83 Mds USD de biens vers l’UE, qui absorbe ainsi 48,5% des exportations turques (contre 50% en 2018), et a importé pour 69 Mds USD de produits en provenance de l’UE (34,2% des importations turques), soit une baisse de 14% par rapport à 2018 [2].

Quelles sont les cartes diplomatiques dans la main d’Erdogan pour mener à bien sa stratégie pan-Ottomane ?

Erdogan est conscient qu’il ne peut bénéficier de l’appui des USA dans sa stratégie de reconquête.
Ses attaques contre les Kurdes en Syrie ont été très critiquées au Sénat et au Congrès des Etats-Unis. Aussi dès le coup d’état manqué, il s’est tourné vers Poutine qui y voit une opportunité conjoncturelle pour son industrie de défense. Ainsi, le 5 avril 2018 la Turquie a acheté 4 systèmes S-400 à la Russie (contrat de 2,5Md $) plus performant que le Patriot américain. Et le 12 juillet 2019, Ankara recevait les premiers composants du système de défense russe S-400.
La réponse américaine ne se fait pas attendre. Mi-juillet 2019, les États-Unis ont annoncé la décision d’exclure la Turquie du programme de chasseur-bombardier de 5e génération F-35 Lightning II [3]. De plus, des voix se sont élevées au Congrès et au Sénat pour exclure la Turquie de l’OTAN car son achat des S-400 russe est une violation de l’embargo sur les armes [4] .
Cette stratégie de renversement d’alliance militaire à des limites car il est évident que compte tenu du rôle que joue l’église orthodoxe en Russie, Poutine n’abandonnera pas la Grèce orthodoxe en cas de crise militaire. Ses liens actuels avec Erdogan lui permettront probablement de jouer une fois de plus le médiateur pour une désescalade en méditerranée orientale.

Ne pouvant bénéficier d’un appui ni de la Russie ni des Etats-Unis pour sa stratégie révisionniste et de reconquête, Erdogan a-t-il la capacité de dissuader l’UE de réagir à une agression contre la Grèce ?
La communauté turque en Europe représente environ 6 millions de personnes dont presque la moitié en Allemagne (2 700 000) et 600 000 en France. Erdogan essaie de se servir de cette diaspora tant sur le plan religieux que politique pour dissuader les européens de toute condamnation, sanction voire réaction militaire à sa politique. Mais sa capacité à influencer la politique des Etats européens est limitée notamment parce qu’une partie de cette immigration est Kurde (1 million en Allemagne, 250 000 en France) . Par ailleurs, la communauté turque en France est bien mieux intégrée que la communauté d’origine arabe ; la preuve : la délinquance y est beaucoup moins élevée. Les accusations et les mots d’ordre prononcés par des mouvements fascistes turcs seront peu suivis par les citoyens franco-turcs. En revanche Erdogan entretient un réseau d’activistes nationalistes capables d’actions violentes comme ceux qui ont saboté les kiosques à journaux lorsque le Point avait comparé Erdogan à Hitler. Ces activistes sont manipulés par les services secrets turcs et sont capables de mener des assassinats ciblés contre les Kurdes et les Arméniens mais ils sont bien suivis par la DGSI et ne sont pas capables de dissuader le Président français d’agir. Cette diaspora n’est qu’un des facteurs qui explique la modération d’Angela Merkel vis à vis de la Turquie, les liens historiques et économiques étant d’après moi plus déterminants. En revanche, la menace d’une nouvelle vague de migrants n’est plus aussi crédible, la Bulgarie et la Grèce ayant fermé leurs frontières avec la Turquie et renforcé leurs moyens de contrôle depuis la pandémie. De plus l’UE, non sans mal a officiellement décidé le renforcement de Frontex, qui disposera d’un contingent permanent de 10.000 gardes-frontières et gardes-côtes d’ici 2027 pour assister les pays confrontés à une forte pression migratoire.

Quelles peuvent être les options militaires d’Erdogan et les ripostes possibles de l’UE et donc les objectifs stratégiques d’Erdogan?

Option 1

Il a les moyens militaires de s’emparer par surprise et par la force d’une ou de plusieurs iles grecques qui sont à seulement de 3 à 5 kms de la cote turque et probablement de les conserver car la Grèce ne disposera pas des alliés nécessaires pour les reconquérir, le prix humain étant trop élevé.
En revanche son exclusion de l’OTAN serait inévitable. Déjà depuis le coup d’état et son achat de plusieurs batteries de S-400 à la Russie, des voix s’élèvent aux USA comme celle du Senator Lindsay Graham et du député au congrès Eliot Angel et au Canada pour exclure de l’OTAN les états qui ne partagent pas les valeurs démocratiques.
La France trouverait des alliés pour bloquer le soutien qu’il fournit actuellement aux milices islamiques qui contrôlent Misrata et Tripoli et interdire tout mouvement aux navires de commerce et à la marine de guerre turque en méditerranée orientale.
Sur le plan économique je ne vois pas comment l’UE pourrait justifier les sanctions économiques contre la Russie à cause de la Crimée et ne pas sanctionner économiquement la Turquie. Cette option militaire m’apparait déraisonnable car le prix à payer serait supérieur au bénéfice tiré et Erdogan ne l’envisagerait que s’il était assuré d’une neutralité allemande et anglo-saxonne.

Option 2

Erdogan pourrait poursuivre la recherche-production illégale de gaz dans les ZEE qui, selon le traité de Lausanne et le droit maritime, appartiennent à la Grèce et à Chypre [5], faisant porter à ses deux états la responsabilité d’une escalade militaire.
Ainsi lorsque Chypre a annoncé jeudi 8 novembre 2019 avoir signé son premier accord d’exploitation de gaz, d’une valeur de 9,3 milliards de dollars (8,4 milliards d’euros), avec un consortium regroupant les sociétés anglo-néerlandaise Shell, l’américaine Noble et l’israélienne Delek [6], Ankara lui a contesté le droit de faire procéder à des explorations et à de la production dans sa ZEE, arguant que les autorités chypriotes-grecques, qui contrôlent le sud de Chypre, ne peuvent exploiter les ressources naturelles de l’île, tant qu’elle n’est pas réunifiée. Mais, presque simultanément en juin 2019, la Turquie, annonçait l’envoi d’un second navire de forage pour explorer les fonds marins au nord de Chypre à la recherche de gaz naturel. Immédiatement Chypre a délivré un mandat d’arrêt pour les membres d’équipage du bateau de forage turc, le Fatih.
Dès avril 2019, le département d’Etat américain avait exprimé sa préoccupation et demandé à la Turquie de ne pas poursuivre ses projets visant à commencer des activités de forage de gaz dans la “zone économique exclusive de Chypre”.
A l’issue du sommet des sept pays d’Europe du Sud à La Valette, vendredi 14 juin 2019 , une déclaration commune a été publiée enjoignant la Turquie de « cesser ses activités illégales » dans les eaux de la zone économique exclusive (ZEE) de Chypre. « Si la Turquie ne cesse pas ses actions illégales, nous demandons à l’UE d’envisager des mesures appropriées » , ont-ils ajouté [7].
Le ministère turc des Affaires étrangères a estimé samedi que cette déclaration était « biaisée » et contraire aux lois internationales.
Enfin le 23 juillet 2020 en présence de homologue chypriote Nicos Anastasiades à l’Elysée, le Président Macron a tenu « à réaffirmer une fois de plus l’entière solidarité de la France avec Chypre et aussi avec la Grèce face à la violation par la Turquie de sa souveraineté. Il n’est pas acceptable que l’espace maritime d’un État membre de notre Union soit violé ou menacé. Ceux qui contribuent doivent être sanctionnés. »

Conclusion

La déclaration du Président Macron ouvre une nouvelle étape dans les relations de l’UE et de la France avec la Turquie : celle des sanctions.
Le premier stade des sanctions serait des sanctions économiques ciblées. Elles accentueraient les difficultés économiques de la Turquie et éroderaient la base électorale de l’AKP mais pourraient inciter Erdogan à choisir l’option militaire plutôt que de le calmer car visiblement il est condamné à une sorte de fuite en avant.
L’autre option serait évidemment l’arraisonnement des bâtiments d’exploration production turcs dans les zones économiques exclusives de la Grèce et de Chypre, pays faisant partie de l’UE.
Cette option légitime risquerait de transformer ce différend en crise militaire chaude. Néanmoins, si la diplomatie échouait, on ne voit pas comment à long terme la Grèce et Chypre pourraient accepter sans réagir cette violation de leur ZEE. Rien ne dit qu’ils ne le feront pas même sans l’appui initial diplomatique de l’UE et militaire d’au moins une grande puissance navale comme la France.

En revanche si la Turquie décidait de s’emparer par surprise d’iles grecques en espérant l’absence de réaction militaire à court terme, l’UE serait obligée d’infliger à la Turquie les mêmes sanctions qu’elle a infligé à la Russie pour son coup de force sur la Crimée ; l’exclusion de l’OTAN serait alors inévitable.
Les récentes élections en Turquie ont montré la fragilisation de la base du pouvoir d’Erdogan notamment du fait des difficultés économiques. Il ne faut pas exclure que la fuite en avant nationaliste puisse lui apparaitre une solution pour sécuriser son pouvoir.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL
Vice-Président de GEOPRAGMA
Auteur de « Histoire de l’Islam radical et de ceux qui s’en servent », Lavauzelle, Mai 2017

[1] Le SNA à l’inverse des sous-marins classiques turcs est capable de rester en plongée tout le temps de s’y déplacer à grande vitesse ; alors qu’un sous-marin classique déchargerait ses batteries en quelques heures et devrait remonter son schnorkel pour les recharger. La furtivité d’un SNA est incomparable à celle d’un sous-marin classique. Pour mémoire, lors des manœuvres interalliées de Péan en 1998, le SNA Casabianca réussit à « couler » le porte-avions USS Dwight D. Eisenhower et le croiseur de classe Ticonderoga qui l’escortait. Lors de COMPTUEX 2015, un exercice mené par l’US Navy, le SNA Saphir a vaincu avec succès le porte-avions USS Theodore Roosevelt et son escorte, réussissant à « couler » le porte-avions américain.

[2] Le poids des trois principaux clients de la Turquie (Allemagne, Royaume-Uni et Italie, qui représentent respectivement 15,4 Mds USD, 10,9 Mds USD et 9,3 Mds USD) recule en 2019 de même que les exportations vers les Etats-Unis (8,1 Mds USD, qui demeure le 5ème client et vers l’Espagne (7,6 Mds USD) qui demeure le 6ème client de la Turquie. La part de la France (7ème client) parmi les clients de la Turquie est passée de 4,3% en 2018 à 4,5% en 2019, soit une progression constante depuis 2017. A l’inverse, les exportations vers l’Irak (4ème client) augmentent de 7,8% (9 Mds USD) de même que celles vers la Hollande (8ème client, +14,4%), vers Israël (+11,9%) qui devient le 9ème client et vers la Russie (+13,4%) qui devient le 11ème client de la Turquie. In fine, on notera que les exportations des principaux fournisseurs de la Turquie ont toutes enregistré des baisses importantes en 2019 par rapport à 2018, sauf la Russie.

[3] Ergodan au Salon international de l’aéronautique et de l’espace MAKS qui s’est tenu dans la région de Moscou du 27 août au 1er septembre 2019 se fait présenter Su-57 « Frazor », le nouveau chasseur-bombardier russe de 5e génération. D’après plusieurs agences de presse dont Associated Press le président turc a demandé à M. Poutine si cet appareil était « disponible à la vente pour des clients et Poutine a répondu oui.

[4] Le 20 aout 2020, Monsieur Cardin un haut administrateur de la commission des affaires étrangères du Sénat a envoyé une lettre au secrétaire d’État Rex Tillerson et au secrétaire au Trésor Steve Mnuchin au sujet de l’achat des S-400 par la Turquie où il indique : « La législation impose des sanctions à toute personne qui effectue une transaction importante avec les secteurs de la défense ou du renseignement de la Fédération de Russie », a déclaré M. Cardin dans la lettre. M. Cardin a également demandé à l’administration Trump d’évaluer comment l’achat turc pourrait affecter l’adhésion de la Turquie à l’OTAN et l’aide américaine à la sécurité à Ankara.

[5] L’indépendance de l’île est proclamée en 1960. En 1974 le régime des colonels au pouvoir en Grèce fomente un coup d’Etat afin d’annexer l’île. Des soldats turcs débarquent alors dans le nord. Ils créent la République Turque de Chypre du Nord (38% du territoire), reconnue uniquement par la Turquie, soumise à un embargo et trois fois plus pauvre que le sud de l’île. Les Chypriotes grecs réfugiés dans le sud sont expropriés. L’armée turque est présente dans le Nord de l’Ile.

[6] La licence d’exploitation, d’une durée de 25 ans, concerne le champ gazier Aphrodite, le premier découvert au large de l’île méditerranéenne, par la société Nobel en 2011. Ses réserves sont estimées à 113 milliards de mètres cubes de gaz.

[7] « Nous réitérons notre soutien et notre entière solidarité avec la République de Chypre dans l’exercice de ses droits souverains à explorer, exploiter et développer ses ressources naturelles dans sa zone économique exclusive, conformément au droit de l’UE et au droit international. Conformément aux conclusions précédentes du Conseil et du conseil européen, nous rappelons l’obligation incombant à la Turquie de respecter le droit international et les relations de bon voisinage. Nous exprimons notre profond regret que la Turquie n’ait pas répondu aux appels répétés de l’Union européenne condamnant la poursuite de ses activités illégales en Méditerranée orientale et dans la mer Égée et nous manifestons notre grande inquiétude au sujet de réelles ou potentielles activités de forage au sein de la zone économique exclusive de Chypre. Nous demandons à l’Union européenne de demeurer saisie de cette question et, au cas où la Turquie ne cesserait pas ses activités illégales, d’envisager les mesures appropriées, en toute solidarité avec Chypre ». Sommet des pays du sud de l’Union européenne


RELATIONS TURCO-RUSSES : ALLIANCE CONJONCTURELLE OU PACTE STRATÉGIQUE ?

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Intervention de Jean-Bernard Pinatel, Général de Brigade, lors du Colloque CIGPA sur : « La dérive panislamiste et néo-ottomane d’Erdogan, Comment l’allié occidental est-il devenu une menace globale ? »
Colloque organisé par le Centre international de géopolitique et de prospective analytique CIGPA, samedi 29 février 2020 à la Maison de la Chimie Paris.

Source : CIGPA


Obama, Erdoğan et les rebelles syriens

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Je publie ci-dessous la traduction de l’article de Seymour M. Hersh publié par la London Review of Books qui démontre l’implication de la Turquie dans le soutien des djihadistes en Syrie, un temps aidée par la CIA. Il dévoile notamment dans le détail la manipulation d’Erdogan pour faire croire à l’utilisation de gaz Sarin par l’Armée d’ASSAD et faire franchir « la ligne rouge » par OBAMA. Pour Seymour M Hersh, la communauté du renseignement américain à la preuve que ce sont les services Turcs qui en sont à l’origine de l’utilisation de gaz Sarin par les djihadistes d’Al-Nusrah [1]. Mais pour OBAMA il est impossible de le dire car la Turquie est dans l’OTAN et sert les objectifs stratégiques des Etats-Unis face à la Russie.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

2

Par Seymour M. Hersh [2]

En 2011, Barack Obama avait mené une intervention militaire alliée en Libye sans consulter le Congrès américain. En août dernier, après l’attaque au gaz sarin sur Ghouta, en banlieue de Damas, il était prêt à lancer une attaque aérienne alliée, cette fois pour punir le gouvernement syrien d’avoir franchi la «ligne rouge» qu’il avait établi en 2012 sur l’utilisation des armes chimiques. Puis, à moins de deux jours de la date prévue pour l’attaque, il a annoncé qu’il demanderait au Congrès d’approuver l’intervention. L’attaque a été reportée alors que le Congrès se préparait pour les audiences, et a été par la suite annulée quand Obama a accepté la proposition d’Assad de renoncer à son arsenal chimique dans un accord négocié par la Russie. Pourquoi Obama a-t-il retardé puis cédé au sujet de la Syrie, alors qu’il n’a pas hésité à se précipiter en Libye? La réponse se trouve dans l’affrontement entre ceux de l’administration qui cherchaient à mettre à exécution de la ligne rouge, et les chefs militaires qui pensaient que faire la guerre était à la fois injustifié et potentiellement désastreux.

Le changement d’avis d’Obama a été engendré par Porton Down, le laboratoire de la Défense dans le Wiltshire. Les renseignements britanniques avaient obtenu un échantillon de sarin utilisé dans l’attaque du 21 Août et l’analyse a démontré que le gaz utilisé ne correspondait pas aux lots connus dans les armes chimiques de l’arsenal de l’armée syrienne. Le message, que le procès contre la Syrie ne tiendrait pas, été rapidement relayé au chef d’état-major des USA. Le rapport britannique a accru les doutes au sein du Pentagone; les chefs d’état-major se préparaient déjà à mettre en garde Obama sur les conséquences d’une attaque missile de grande envergure sur l’infrastructure de la Syrie qui pourrait conduire à une guerre plus large au Moyen-Orient. Ainsi, les officiers américains ont délivré au président un avertissement de dernière minute qui, selon eux, a finalement conduit à l’annulation de l’attaque par ce dernier.

Pendant des mois, il y a eu une vive inquiétude parmi les dirigeants militaires gradés et la communauté du renseignement sur ​​le rôle des voisins de la Syrie, en particulier la Turquie, dans la guerre. Le Premier ministre Recep Erdogan était connu pour avoir précédemment soutenu le front al-Nusra, une faction djihadiste au sein de l’opposition rebelle, ainsi que d’autres groupes rebelles islamistes. « Nous savions qu’il y en avait dans le gouvernement turc » m’a dit un ancien responsable du renseignement américain, qui a accès aux renseignements actuels, « qui ont cru qu’ils pourraient coincer Assad avec un attentat au sarin intérieur de la Syrie – et forcer Obama à utiliser sa menace de ligne rouge ».

Les chefs d’état-major savaient aussi que les allégations publiques de l’administration Obama affirmant que seule l’armée syrienne a eu accès au sarin étaient fausses. Les services de renseignement américains et britanniques étaient au courant depuis le printemps de 2013 que certaines unités rebelles en Syrie développaient des armes chimiques. Le 20 juin, les analystes de l’Agence de renseignements de la Défense des États-Unis ont publié un brief de 5 pages hautement classifié « points de discussion » pour le directeur adjoint de la DIA, David Shedd, qui déclarait que Al – Nusra conservait une cellule de production de sarin : son programme, a indiqué le rapport, était « le complot sarin le plus avancé depuis l’effort d’al- Qaida précédant le 11 septembre».

(D’après un consultant du Département de la Défense, les renseignements américains avaient connaissance depuis longtemps des expériences d’Al-Qaïda avec des armes chimiques, et possède une vidéo d’une de ses expériences avec du gaz sur des chiens.) Le document de la DIA poursuit: « Précédemment, la communauté du renseignement (IC) s’était presque entièrement intéressée aux stocks d’armes chimiques de la Syrie; maintenant, nous voyons l’ANF tenter de faire ses propres armes chimiques… La relative liberté de fonctionnement du front d’Al- Nusrah au sein de la Syrie nous amène à estimer que les aspirations du groupe en termes d’armes chimiques seront difficiles à perturber à l’avenir ». Le document attire l’attention sur des informations classifiées provenant de nombreux organismes: « Des acteurs Turcs et Saoudiens, disait-il, ont tenté de se procurer des précurseurs de sarin en vrac, des dizaines de kilogrammes, probablement destinés à une production à grande échelle prévue en Syrie.  » (Interrogé au sujet du document de la DIA, un porte-parole du directeur du renseignement national a déclaré: « Aucun papier n’a jamais été demandé ou produit par les analystes de la communauté du renseignement.)

En mai dernier, plus de dix membres du Front Al-Nusra ont été arrêtés dans le sud de la Turquie avec, d’après ce que la police locale a dit à la presse, deux kilos de sarin. Dans un acte d’accusation de 130 pages le groupe a été accusé d’avoir tenté d’acheter des fusibles, de la tuyauterie pour la construction de mortiers, et des ingrédients chimiques pour le sarin. Cinq des personnes arrêtées ont été libérées après une brève détention. Les autres, dont le chef de file Haytham Qassab, pour qui le procureur a requis une peine de prison de 25 ans, ont été libérées en attendant le procès. En attendant, la presse turque a été en proie à la spéculation que l’administration Erdoğan a couvert la mesure de son implication avec les rebelles. Dans une conférence de presse l’été dernier, Aydin Sezgin, l’ambassadeur de Turquie à Moscou, a rejeté ces arrestations et affirmé aux journalistes que le « sarin » récupéré était seulement «de l’anti-gel».

Le papier de la DIA a pris les arrestations comme une preuve que al-Nusra élargissait son accès aux armes chimiques. Il déclarait que Qassab s’était «auto-identifié» comme un membre d’Al-Nusra, et qu’il a été directement relié à Abd-al-Ghani, « l’émir ANF pour la fabrication militaire ». Qassab et son associé Khalid Ousta ont travaillé avec Halit Unalkaya, un employé d’une entreprise turque appelée Zirve exportation, qui a fournissait «des devis pour des ingrédients de sarin en vrac ». Le plan d’Abd-al-Ghani était de permettre à deux associés de «perfectionner un procédé de fabrication du sarin, puis aller en Syrie pour former d’autres personnes pour commencer la production à grande échelle dans un laboratoire non identifié en Syrie». Le papier de la DIA indiquait que l’un de ses agents avait acheté un ingrédient sur le «marché des produits chimiques de Bagdad», qui «a pris en charge au moins sept projets d’armes chimiques depuis 2004 ».

Une série d’attaques par armes chimiques en Mars et Avril 2013 a été étudiée au cours des mois suivants par une mission spéciale des Nations Unies en Syrie. Une personne avec une forte connaissance de l’activité de l’ONU en Syrie m’a dit qu’il y avait des preuves reliant l’opposition syrienne à la première attaque au gaz, le 19 Mars à Khan Al-Assal, un village près d’Alep. Dans son rapport final en Décembre, la mission a déclaré qu’au moins 19 civils et un soldat syrien étaient parmi les victimes, ainsi que des dizaines de blessés. La mission n’avait pas de mandat pour désigner le responsable de l’attaque, mais la personne ayant connaissance des activités de l’ONU a déclaré: « Les enquêteurs ont interrogé les gens qui étaient là, y compris les médecins qui ont soigné les victimes. Il était clair que les rebelles ont utilisé le gaz. L’information n’a pas été rendue publique car personne ne voulait savoir ».

Dans les mois précédant les attaques, un ancien haut fonctionnaire du Département de la Défense m’a dit que la DIA a fait circuler un rapport quotidien classifié connu sous le nom de « SYRUP » portant sur tous les renseignements liés au conflit syrien, y compris sur les armes chimiques. Mais au printemps, la distribution de la partie du rapport concernant les armes chimiques a été sévèrement réduite sur les ordres de Denis McDonough, le chef de cabinet de la Maison Blanche. « Quelque chose dedans a déclenché une crise de nerfs (littéralement caca nerveux) de McDonough », l’ex-fonctionnaire du ministère de la Défense a déclaré. «Un jour, c’était une affaire énorme, et puis, après les attaques sarin en mars et avril» – il fit claquer ses doigts – « il n’y a plus rien ». La décision de restreindre la distribution a été prise alors que les chefs d’état-major ordonnaient une planification intensive d’urgence pour une possible invasion terrestre de la Syrie dont l’objectif principal serait l’élimination des armes chimiques.

L’ancien responsable du renseignement a déclaré qu’un certain nombre de membres de la sécurité nationale des États-Unis ont longtemps été troublés par la ligne rouge du président: «Les chefs d’état-major ont demandé à la Maison Blanche, « Qu’est-ce que la ligne rouge? Comment cela se traduit-il dans les ordres militaires? Troupes sur le terrain? Attaque massive? Attaque limitée? » Ils ont chargé le renseignement militaire d’étudier comment nous pourrions mettre en œuvre la menace. Ils n’ont rien appris de plus sur le raisonnement du président ».

Au lendemain de l’attaque du 21 Août, Obama a ordonné au Pentagone d’élaborer une liste de cibles de bombardement. Au début du processus, l’ancien responsable du renseignement a déclaré que « la Maison Blanche a rejeté 35 ensembles de cibles fournies par les chefs d’état-major comme étant insuffisamment « douloureux » pour le régime d’Assad ». Les cibles de départ incluaient seulement des sites militaires et aucunement des infrastructures civiles. Sous la pression de la Maison Blanche, le plan d’attaque des États-Unis s’est transformé en « une attaque monstre» : deux formations de bombardiers B-52 ont été transférées dans des bases aériennes proches de la Syrie , et des sous-marins de la marine et des navires équipés de missiles Tomahawk ont été déployés. « Chaque jour, la liste de cibles s’allongeait », m’a dit l’ancien responsable du renseignement. « Les planificateurs du Pentagone ont dit que nous ne pouvions pas utiliser seulement des Tomahawk pour frapper les sites de missiles de la Syrie parce que leurs têtes sont enterrées trop profondément sous terre, ainsi les deux formations d’avion B- 52 avec deux mille livres de bombes ont été assignés à la mission. Ensuite, nous aurons besoin d’équipes de secours et de recherche pour récupérer les pilotes abattus et des drones pour la sélection de cible. C’est devenu énorme. » D’après l’ancien responsable du renseignement, la nouvelle liste de cibles était destinée à « éradiquer complètement toutes les capacités militaires qu’avait Assad ». Les cibles principales incluaient les réseaux électriques, les dépôts de pétrole et de gaz, tous dépôts d’armes et logistiques connus, toutes installations de commandement et de contrôle connus, et tous les bâtiments militaires et de renseignement connus.

La Grande-Bretagne et la France devaient, toutes les deux jouer, un rôle. Le 29 Août, le jour où le Parlement a voté contre la proposition de Cameron de rejoindre l’intervention, le Guardian a rapporté que celui-ci avait déjà ordonné à six avions de combat RAF Typhoon de se déployer à Chypre, et avait proposé un sous-marin capable de lancer des missiles Tomahawk. L’armée de l’air française – un acteur essentiel dans les attaques de 2011 en Libye – a été largement engagée, selon un compte rendu dans Le Nouvel Observateur; François Hollande avait ordonné à plusieurs chasseurs-bombardiers Rafale de participer à l’assaut américain. Leurs cibles auraient été dans l’ouest de la Syrie.

Avant la fin Août le président avait donné aux Chefs d’état major une date limite fixée pour le lancement. « L’Heure H devait commencer au plus tard lundi matin [2 Septembre], un assaut massif afin de neutraliser Assad » selon l’ancien responsable du renseignement. Cela a donc été une surprise pour beaucoup quand, lors d’un discours au Rose Garden de la Maison Blanche le 31 Août Obama a déclaré que l’attaque serait mise en attente, et qu’il se tournait vers le Congrès afin de la soumettre à un vote.
.
A ce stade, l’idée d’Obama – que seule l’armée syrienne était capable de déployer le sarin – se clarifiait. L’ancien responsable du renseignement m’a dit qu’à quelques jours de l’attaque du 21 Août, des agents militaires russes du renseignement avaient récupéré des échantillons de l’agent chimique de Ghouta. Ils l’ont analysé et transmis au renseignement militaire britannique; c’était le matériel envoyé à Porton Down. (Un porte-parole de Porton Down a déclaré: « La plupart des échantillons analysés au Royaume-Uni se sont révélés positifs pour l’agent neurotoxique sarin. Le MI6 a dit qu’il ne se prononçait pas sur les questions de renseignement.)

L’ancien responsable du renseignement a déclaré que le Russe qui a livré l’échantillon au Royaume-Uni était « une bonne source – une personne ayant accès, la connaissance et étant digne de confiance ». Après les premières utilisations d’armes chimiques signalées en Syrie l’année dernière, les agences de renseignement américaines et alliées « ont fait un effort pour savoir si quelque chose a été utilisé, ce que c’était – et sa source » a dit l’ancien responsable du renseignement. « Nous utilisons les données échangées dans le cadre de la Convention sur les armes chimiques. Le point de référence de la DIA était de connaître la composition de chaque lot d’armes chimiques soviétiques manufacturé. Mais nous ne savions pas quels lots le gouvernement d’Assad avait dans son arsenal à ce moment-là. Dans les jours suivant l’incident de Damas, nous avons demandé à une source au sein du gouvernement syrien de nous donner une liste des lots que le gouvernement possédait. C’est ainsi que nous avons pu confirmer la différence si vite. »

Le processus ne s’était pas déroulé sans accroc au printemps, a indiqué l’ancien responsable du renseignement, parce que les études réalisées par les renseignements occidentaux « n’ont pas été concluants sur le type de gaz dont il s’agissait ». Le mot  » sarin  » n’a pas été mentionné. Il y avait beaucoup de discussions à ce sujet, mais puisque personne ne pouvait confirmer la nature de ce gaz, on ne pouvait pas dire qu’Assad avait franchi la ligne rouge du président». L’ancien responsable du renseignement poursuivit : « Le 21 Août, l’opposition syrienne avait en clairement tiré des enseignements et a annoncé que le  » sarin  » de l’armée syrienne avait été utilisé, avant que toute analyse ne puisse être faite, et la presse et la Maison Blanche ont sauté sur l’information. Comme il s’agissait maintenant de sarin, “ça devait être Assad” ».

Le personnel de la défense du Royaume-Uni qui a relayé les conclusions de Porton Down aux chefs d’état-major envoyait un message aux Américains, a déclaré l’ancien responsable du renseignement: « On nous tend un piège ici. » (Ceci se rapporte à un message qu’un haut fonctionnaire de la CIA a envoyé à la fin Août : « ce n’était pas le résultat du régime actuel. Le Royaume-Uni et les États-Unis le savent. »). C’était seulement à quelques jours de l’attaque et des avions, navires et sous-marins américains, britanniques et français étaient parés.

L’officier finalement responsable de la planification et de l’exécution de l’attaque était le général Martin Dempsey, président des Chefs d’état-major. Dès le début de la crise, l’ancien responsable du renseignement a déclaré, les chefs d’état-major avaient été sceptiques sur les arguments de l’administration pour prouver la culpabilité d’Assad. Ils ont pressé le DIA et d’autres organismes pour obtenir des preuves plus considérables. L’ancien responsable du renseignement a dit : « Il n’y avait pas moyen qu’ils pensent que la Syrie utiliserait un gaz neurotoxique à ce stade, parce que Assad était en train de gagner la guerre ,. Dempsey en avait agacé beaucoup dans l’administration d’Obama en mettant en garde à plusieurs reprises le Congrès pendant l’été sur les dangers d’un engagement militaire américain en Syrie. En Avril dernier, après une évaluation optimiste des avancées rebelles par le secrétaire d’État John Kerry, Dempsey a déclaré devant la commission des Affaires étrangères à la commission des forces armées du Sénat qu’ « il y a un risque que ce conflit soit devenu une impasse. »
L’ancien responsable du renseignement a rapporté l’avis initial de Dempsey après le 21 Août : « l’attaque des États-Unis sur la Syrie – en admettant que le gouvernement d’Assad était responsable de l’attaque au gaz sarin – serait une bavure militaire ». Le rapport de Porton Down a incité les chefs d’état-major à aller voir le président avec des inquiétudes plus importantes : que l’attaque menée par la Maison Blanche serait une agression injustifiée. Ce sont les chefs conjoints qui ont conduit Obama à changer de cap. L’explication officielle de la Maison Blanche au sujet de ce volte-face – l’histoire racontée par la presse – était que le président, au cours d’une promenade dans le Rose Garden avec son chef de cabinet Denis McDonough, a soudainement décidé de demander au congrès, qui était amèrement divisé et en conflit avec lui depuis des années, son accord pour l’attaque. L’ancien responsable du département de la Défense m’a dit que la Maison Blanche avait fourni une explication différente aux membres de la direction civile du Pentagone : l’attaque avait été annulée parce que selon les renseignements « le Moyen-Orient partirait en fumée » si elle avait lieu.

L’ancien responsable du renseignement a déclaré qu’initialement, la décision du président de s’adresser au Congrès a été considérée par les principaux collaborateurs à la Maison Blanche comme une redite de la tactique de George W. Bush à l’automne 2002, avant l’ invasion de l’Irak : « Quand il est devenu évident que il n’y avait pas d’ADM en Irak, le Congrès, qui avait approuvé la guerre en Irak, et la Maison Blanche partageaient la responsabilité et ont à plusieurs reprises cité des renseignements erronés. Si le Congrès actuel devait voter en faveur de l’attaque, la Maison Blanche pourrait jouer à nouveau sur les deux tableaux – frapper la Syrie avec une attaque massive et valider l’engagement de la ligne rouge du président, tout en étant en mesure de partager les torts avec le Congrès s’il s’avérait que l’armée syrienne n’était pas derrière l’attaque ». Le revirement fut une surprise même pour les dirigeants démocrates au Congrès. En Septembre le Wall Street Journal a rapporté que trois jours avant son discours au Rose Garden, Obama avait téléphoné à Nancy Pelosi, chef des démocrates de la Chambre, « pour passer en revue les options ». Selon le Journal, elle a dit plus tard à ses collègues qu’elle n’avait pas demandé au président de soumettre le bombardement à un vote du Congrès.

Le changement de position d’Obama pour susciter l’accord du Congrès s’est rapidement transformé en impasse. « Le Congrès n’allait pas laisser passer cela » a dit l’ex- responsable du renseignement. « Le Congrès a fait savoir que, contrairement à l’autorisation pour la guerre en Irak, il y aurait des audiences de fond. » D’après l’ancien responsable du renseignement, à ce moment-là, un sentiment de désespoir se faisait sentir à la Maison Blanche. « Et ainsi a été établi le plan B. Annuler le bombardement et Assad accepterait de signer unilatéralement le traité des armes chimiques et accepterait la destruction de toutes les armes chimiques sous la surveillance des Nations Unies. »

Lors d’une conférence de presse à Londres le 9 Septembre, Kerry parlait toujours de l’intervention : « le risque de ne pas agir est plus grand que le risque d’agir. » Mais quand un journaliste lui a demandé s’il y avait quoi que ce soit qu’Assad pourrait faire pour arrêter les bombardements, Kerry a déclaré: « Bien sûr. Il pourrait donner l’intégralité de ses armes chimiques à la communauté internationale d’ici la semaine prochaine … Mais il n’est pas sur le point de le faire, et ça ne peut pas être fait, évidemment. » Comme le New York Times a rapporté le lendemain, l’accord Russe qui a émergé peu après avait d’abord été contemplé par Obama et Poutine à l’été 2012. Bien que les plans d’attaque aient été mis de côté, l’administration n’a pas changé son discours public pour justifier la guerre. « Il y a une tolérance zéro à ce niveau pour les erreurs » a dit l’ex- responsable du renseignement au sujet des hauts fonctionnaires de la Maison Blanche. « Ils ne pouvaient pas se permettre de dire : « Nous avons eu tort. » (Le porte-parole du DNI a dit: « Le régime d’Assad, et seulement le régime d’Assad, aurait pu être responsable de l’attaque aux armes chimiques qui a eu lieu le 21 Août »).

L’importance de la coopération des Etats Unis avec la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar pour assister les rebelles en Syrie n’est pas encore claire. L’administration d’Obama n’a jamais publiquement avoué son rôle dans la création d’un « rat line », une voie rapide pour la Syrie. Ce « rat line », autorisé au début 2012 a été utilisé pour faire passer des armes et des munitions de la Libye via le sud de la Turquie et à travers la frontière syrienne jusqu’à l’opposition. La plupart de ceux qui ont reçu les armes en Syrie étaient des djihadistes, dont certains étaient affiliés à la CIA. Le porte-parole du DNI a dit : « L’idée que les USA fournissaient des armes provenant de la Libye est fausse ».

En janvier, le comité de renseignement du sénat a publié un rapport sur l’assaut par la milice locale en septembre 2012 sur le consulat américain et les locaux infiltrés de la CIA à proximité à Benghazi, résultant en la mort de l’ambassadeur des Etats Unis Christopher Stevens et trois autres. Dans le rapport, les critiques du département d’état pour ne pas avoir fourni une sécurité suffisante au consulat et de la communauté du renseignement pour ne pas avoir informé les militaires américains de la présence de locaux de la CIA ont fait la une des médias et suscité des mécontentements à Washington, les républicains accusant Obama et Hillary Clinton de dissimuler leurs erreurs. Une annexe hautement classifiée du rapport, jamais rendue publique, a décrit un arrangement secret trouvé en 2012 entre les administrations Obama et Erdogan au sujet du « rat line ». Selon cet accord, les fonds provenaient de Turquie ainsi que d’Arabie Saoudite et du Qatar. La CIA avec le soutien du MI6 était chargée de faire passer les armes de Kadhafi en Syrie. Un certain nombre d’entreprises « façades » ont été mises en place en Libye, certaines sous couverture d’entités australiennes. Des militaires américains retraités ont été employés pour gérer les fournitures et cargaisons, sans qu’ils ne sachent toujours qui les employait. L’opération était menée par David Petraeus le directeur de la CIA, qui allait prochainement démissionner après que sa relation avec sa biographe ait été rendue publique. Un porte-parole de Petraeus a même nié l’existence de cette opération.

Au moment où elle a été mise en place, L’opération n’avait pas été divulguée aux comités de renseignement du Congrès et aux dirigeants du Congrès, comme requis par la loi depuis les années 1970. L’implication du MI6 a permis à la CIA de se soustraire à la loi en classifiant la mission comme une opération de liaison. L’ancien responsable du renseignement a expliqué que pendant des années il y a eu une exception reconnue dans la loi qui permet à la CIA de ne pas déclarer l’activité de liaison au Congrès, qui aurait dans ce cas droit à un rapport/constatation (« finding »). (Toutes les opérations secrètes de la CIA qui sont proposées doivent être décrites dans un document écrit, connu sous le nom de « constatation » (« finding »), présenté à la haute direction du Congrès pour approbation.) La distribution de l’annexe a été limitée aux aides du personnel qui ont écrit le rapport etaux huit haut membres du Congrès – les dirigeants démocrates et républicains de la Chambre et du Sénat, et les dirigeants démocrates et républicains des comités du renseignement de la Chambre et du Sénat. Ceci constitue à peine une véritable tentative de visibilité: les huit dirigeants ne sont pas connus pour se rassembler pour soulever des questions ou discuter de l’information secrète qu’ils reçoivent.

L’annexe n’a ni raconté toute l’histoire de ce qui s’est passé à Benghazi avant l’attaque, ni expliqué pourquoi le consulat américain a été attaqué. «La seule mission du consulat était de fournir une couverture pour le déplacement d’armes » l’ancien responsable du renseignement, qui a lu l’annexe, a déclaré. «Il n’avait pas de rôle politique réel. »

Washington a brusquement mis fin au rôle de la CIA dans le transfert d’armes en provenance de Libye après l’attaque contre le consulat, mais le « rat line » se poursuivait. Selon l’ancien responsable du renseignement : «Les États-Unis ne contrôlaient plus ce que les Turcs relayaient aux djihadistes ». En quelques semaines, pas moins de quarante lanceurs de missiles sol-air portatifs, communément appelés « MANPADS » [3], étaient entre les mains des rebelles syriens. Le 28 Novembre 2012, Joby Warrick du Washington Post a rapporté que la veille, les rebelles près d’Alep avaient utilisé ce qui était presque certainement un MANPAD pour abattre un hélicoptère de transport syrien. «L’administration Obama », Warrick a écrit, « était fermement opposé à armer les forces d’opposition syriennes avec de tels missiles, avertissant que les armes pourraient tomber entre les mains de terroristes et être utilisées pour abattre les avions commerciaux. » Deux fonctionnaires du renseignement du Moyen-Orient ont pointé du doigt le Qatar comme étant la source de cette livraison, et un ancien analyste du renseignement des États-Unis a émis l’hypothèse que les Manpads auraient pu être obtenus à partir des avant-postes militaires syriens envahies par les rebelles. Il n’y avait aucune indication que la possession de MANPADS par les rebelles ait été la conséquence involontaire d’un programme américain secret qui n’était plus sous contrôle américain.

À la fin de 2012, on a cru au sein de la communauté américaine du renseignement que les rebelles étaient en train de perdre la guerre. « Erdoğan était en colère » a déclaré l’ex-responsable du renseignement, « et a estimé qu’il a été écarté. C’était son argent et l’interruption a été vue comme une trahison ». Au printemps 2013 les renseignements américains ont appris que le gouvernement turc – via des éléments du MIT, son agence nationale du renseignement et de la gendarmerie, des forces de l’ordre militarisées – travaillait directement avec Al-Nusra et ses alliés pour développer des capacités pour une guerre chimique. « Le MIT était en charge de la liaison politique avec les rebelles, et la gendarmerie se chargeait de la logistique militaire, des conseils et de la formation sur le terrain – y compris la formation dans la guerre chimique », a dit l’ancien responsable du renseignement. « Renforcer le rôle de la Turquie au printemps 2013 a été considérée comme la clé de ses problèmes là-bas. Erdogan savait que s’il cessait son soutien aux djihadistes tout serait fini. Les Saoudiens ne pourraient pas soutenir la guerre en raison de la logistique – les distances et la difficulté de transporter les armes et fournitures. Erdogan espérait susciter un événement qui obligerait les États-Unis à franchir la ligne rouge. Mais Obama n’a pas répondu en Mars et Avril. »

Il n’y avait aucun signe public de discorde quand Erdogan et Obama se sont rencontrés le 16 mai 2013 à la Maison Blanche. Lors d’une conférence de presse plus tard Obama a dit qu’ils avaient convenus qu’Assad « devait disparaître ». Interrogé pour savoir s’il pensait que la Syrie avait franchi la ligne rouge, Obama a reconnu qu’il y avait des preuves que de telles armes avaient été utilisées, mais il a ajouté, « il est important pour nous de faire en sorte que nous soyons en mesure d’obtenir des informations plus précises sur ce qui s’y passe exactement. » La ligne rouge était encore intacte.

Un expert de la politique étrangère américaine qui parle régulièrement avec les responsables de Washington et d’Ankara m’a parlé d’un dîner d’affaires tenu par Obama pour Erdogan lors de sa visite en mai. Le repas a été dominé par l’insistance des Turcs que la Syrie avait franchi la ligne rouge et leur mécontentement face à la réticence d’Obama à faire quoi que ce soit. Obama était accompagné de John Kerry et Tom Donilon, le conseiller à la sécurité nationale qui allait prochainement démissionner. Erdoğan a été rejoint par Ahmet Davutoğlu, ministre des Affaires étrangères de la Turquie, et Hakan Fidan, le chef du MIT. Fidan est connu pour être très fidèle à Erdogan, et a été considéré comme un soutien consistant de l’opposition rebelle radicale en Syrie.

L’expert de la politique étrangère m’a dit que ce qu’il avait entendu venait de Donilon. (Ce qui a été plus tard confirmé par un ancien responsable américain, qui en a pris connaissance via un diplomate turc senior.) Selon l’expert, Erdogan avait demandé la réunion dans le but de démontrer à Obama que la ligne rouge avait été franchie, et avait apporté Fidan pour le soutenir. Quand Erdogan a tenté de faire entrer Fidan dans la conversation, et que Fidan a commencé à parler, Obama lui a coupé la parole en disant: « Nous savons ». Erdoğan a essayé de faire participer Fidan une seconde fois, et de nouveau Obama le coupa et dit: « Nous savons. » À ce moment-là, Erdoğan exaspéré a dit: « Mais votre ligne rouge a été franchie! » et, l’expert m’a dit, ‘Donilon a dit qu’Erdogan « avait menacé du doigt le président de la Maison Blanche ». Obama a ensuite désigné Fidan du doigt et dit: « Nous savons ce que vous faites avec les radicaux en Syrie. » (Donilon, qui a rejoint le Conseil sur les relations étrangères en Juillet dernier, n’a pas répondu aux questions sur cette histoire. Le ministère turc des Affaires étrangères n’a pas répondu aux questions au sujet du dîner. Un porte-parole du Conseil national de sécurité a confirmé que le dîner avait eu lieu et a fourni une photo montrant Obama, Kerry, Donilon, Erdogan, Fidan et Davutoğlu assis à une table. « Au-delà de cela, dit-elle, je ne vais pas lire les détails de leurs discussions. ‘)
Mais Erdogan n’est pas parti les mains vides. Obama permettait toujours à la Turquie de continuer à exploiter une faille dans un décret présidentiel interdisant l’exportation d’or vers l’Iran, qui faisait partie des sanctions des États-Unis contre le pays. En Mars 2012, en réponse aux sanctions des banques iraniennes par l’UE, le système de paiement électronique SWIFT, qui facilite les paiements transfrontaliers, a expulsé des dizaines d’institutions financières iraniennes, limitant sévèrement la capacité du pays à faire du commerce international. Les États-Unis ont mis en place le décret en Juillet, mais ont laissé ce qui est venu à être connu comme étant un « échappatoire d’or (golden loophole) »: les livraisons d’or à des entités privées iraniennes pourraient continuer. La Turquie est un important acheteur de pétrole et de gaz iranien, et a profité de l’échappatoire en déposant ses paiements en lires turques dans un compte iranien en Turquie; ces fonds ont servi à acheter de l’or turc qui serait exporté vers des confédérés en Iran. 13 milliards de dollars d’or seraient entrés en Iran de cette manière entre Mars 2012 et Juillet 2013.

Le programme est rapidement devenu une vache à lait pour les politiciens corrompus et les commerçants en Turquie, en Iran et aux Emirats arabes unis. « Les intermédiaires ont fait ce qu’ils font toujours », a dit l’ex-responsable du renseignement. « Prendre 15 pour cent. La CIA a estimé qu’il n’y avait pas moins de deux milliards de dollars retenus. L’or et la livre turque leur « collaient aux doigts ». Les retenues illicites se sont transformées en scandale public « du gaz pour de l’or » en Turquie en Décembre, et a donné lieu à des accusations contre deux douzaines de personnes, y compris d’importants hommes d’affaires et des proches de responsables gouvernementaux, ainsi que la démission de trois ministres, dont un qui a appelé Erdoğan à démissionner. Le directeur d’une banque contrôlée par l’Etat turc qui était au milieu du scandale a insisté les 4,5 millions de dollars en espèces retrouvé par la police dans des boîtes à chaussures au cours d’une perquisition à son domicile étaient destinés à des dons de bienfaisance. .

L’année dernière Jonathan Schanzer et Mark Dubowitz ont signalé dans Foreign Policy que l’administration Obama a fermé cet échappatoire en Janvier 2013, mais « ont fait pression pour s’assurer que la législation … ne prenne pas effet pendant six mois ». Ils ont spéculé que l’administration voulait utiliser le retard comme une incitation à amener l’Iran à la table des négociations sur son programme nucléaire, ou pour apaiser son allié turc dans la guerre civile syrienne. Le délai a permis à l’Iran d’accumuler des milliards de dollars de plus en or, ce qui compromet davantage le régime des sanctions ».

La décision américaine de mettre fin au soutien de la CIA pour les livraisons d’armes en Syrie a exposé Erdoğan politiquement et militairement. « L’une des questions à ce sommet en mai était le fait que la Turquie est le seul moyen de fournir les rebelles en Syrie » a dit l’ancien responsable du renseignement. « Elles ne peuvent pas venir par la Jordanie, car le terrain dans le sud est grand ouvert et les Syriens sont partout. Et elles ne peuvent pas venir par les vallées et les collines du Liban – on ne peut pas être certain de qui on rencontrerait l’autre côté ». Sans le soutien militaire des États-Unis pour les rebelles, l’ancien responsable du renseignement a déclaré, « le rêve d’Erdogan d’avoir un état client en Syrie s’évapore et il pense que nous en sommes la raison. Lorsque la Syrie gagnera la guerre, il sait que les rebelles sont tout aussi susceptibles de se retourner contre lui – où peuvent-ils aller d’autre? Alors maintenant, il aura des milliers de radicaux dans son jardin. »

Un consultant du renseignement américain m’a dit que quelques semaines avant le 21 Août, il avait vu une information hautement classifiée préparée pour Dempsey et le secrétaire à la défense, Chuck Hagel, qui décrivait « l’inquiétude aiguë » de l’administration Erdoğan au sujet des perspectives décroissantes des rebelles. L’analyse mettait en garde sur le fait que les dirigeants turcs ont exprimé « la nécessité de faire quelque chose qui précipiterait une intervention militaire des États-Unis ». A la fin de l’été, l’armée syrienne avait encore l’avantage sur les rebelles, a dit l’ancien responsable du renseignement, et seulement la puissance aérienne américaine pourrait inverser la tendance. À l’automne, l’ancien responsable du renseignement poursuivit, les analystes du renseignement des États-Unis qui continuaient de travailler sur les événements du 21 Août « ont senti que la Syrie n’était pas derrière l’attaque au gaz. Mais le « gorille de 500 livres ?» (le « monstre ») l’était, comment cela se fait-il? Les turcs ont été immédiatement suspectés, parce qu’ils avaient tous les éléments pour y arriver ».
Pendant que des données interceptées et autres données relatives aux attaques du 21 août étaient recueillies, la communauté du renseignement a vu des preuves pour étayer ses soupçons. « Nous savons maintenant que c’était une action secrète prévue par les gens d’Erdogan pour pousser Obama à franchir la ligne rouge», a déclaré l’ancien responsable du renseignement. «Il fallait que cela dégénère en une attaque au gaz dans ou près de Damas, lorsque les inspecteurs de l’ONU » – qui sont arrivés à Damas le 18 Août pour enquêter sur des utilisations antérieures du gaz – étaient là. L’accord était de faire quelque chose de spectaculaire. Nos officiers supérieurs ont été informés par la DIA et autres moyens de renseignement que le sarin a été fourni via la Turquie – qu’il ne pouvait arriver là qu’avec le soutien de la Turquie. Les Turcs ont également dispensé une formation dans la production et la manipulation du sarin. » La majeure partie des informations permettant cette évaluation provenait des Turcs eux-mêmes, par l’intermédiaire de conversations interceptées dans le sillage immédiat de l’attaque. « Les preuves principales étaient les réjouissances et le contentement turcs après l’attaque relevé dans de nombreuses données interceptées. Les opérations sont toujours planifiées de manière super-secrète, mais tout part en fumée quand il s’agit de s’en vanter après. Il n’y a pas de plus grande vulnérabilité que lorsque les auteurs réclament de la reconnaissance pour leur succès. » Les problèmes d’Erdogan en Syrie seraient bientôt terminés:« le gaz s’échappe et Obama dira ligne rouge et l’Amérique attaquera la Syrie, ou au moins, c’était l’idée. Mais ça ne s’est pas passé de cette façon. »

Apres l’attaque de la Turquie, les renseignements ne sont pas arrivés jusqu’à la Maison Blanche. « Personne ne veut parler de tout cela » l’ex-responsable du renseignement m’a dit. « Il y a une grande réticence à contredire le président, bien qu’aucune analyse de la communauté du renseignement n’ait soutenu sa précipitation à condamner. Il n’y a pas eu un seul élément de preuve supplémentaire de l’implication syrienne dans l’attentat au sarin produit par la Maison Blanche depuis que le bombardement a été annulé. Mon gouvernement ne peut rien dire parce que nous avons agi de manière tellement irresponsable. Et puisque nous avons tenu Assad responsable, nous ne pouvons pas revenir en arrière et accuser Erdoğan.

La volonté de la Turquie à manipuler les événements en Syrie à ses propres fins semblait avoir été démontrée à la fin du mois dernier, quelques jours avant le premier tour d’élections locales, quand un enregistrement, prétendument d’Erdoğan et ses associés, a été publié sur YouTube. Il comprenait des discussions au sujet d’une opération sous faux pavillon qui justifierait une incursion de l’armée turque en Syrie. L’opération était centrée sur le tombeau de Suleyman Shah, le grand-père du très vénéré Osman I, le fondateur de l’Empire ottoman, qui est près d’Alep et a été cédée à la Turquie en 1921 lorsque la Syrie était sous la domination française. Une des factions rebelles islamistes menaçait de détruire la tombe en tant que site d’idolâtrie, et l’administration Erdoğan menaçait publiquement de représailles s’il lui arrivait quoi que ce soit. D’après un rapport de Reuters portant sur la conversation ayant fait l’objet de fuites, une voix censée être celle de Fidan parlait de créer une provocation: « Maintenant, regardez, mon commandant [Erdogan], si l’on veut avoir une justification, j’envoie quatre hommes de l’autre côté. Je leur fais lancer huit missiles sur un terrain ouvert [dans le voisinage de la tombe]. Ce n’est pas un problème. La justification peut être créée. » Le gouvernement turc a reconnu qu’il y avait eu une réunion nationale de sécurité sur les menaces émanant de la Syrie, mais a déclaré que l’enregistrement avait été manipulé. Le gouvernement a ensuite bloqué l’accès du public à YouTube.

À moins d’un changement majeur de politique par Obama, l’intrusion de la Turquie dans la guerre civile syrienne est susceptible de continuer. « J’ai demandé à mes collègues s’il y avait un moyen d’arrêter le soutien continu d’Erdoğan aux rebelles, surtout maintenant que ça va si mal » m’a dit l’ancien responsable du renseignement. « La réponse a été: « Nous sommes foutus. » Nous pourrions en parler publiquement si c’était quelqu’un d’autre que M. Erdoğan, mais la Turquie est un cas particulier. C’est un allié de l’OTAN. Les Turcs ne font pas confiance aux occidentaux. Ils ne peuvent pas vivre avec nous si nous menons une démarche active contre les intérêts turcs. Si nous rendions public ce que nous savons sur le rôle de M. Erdoğan avec le gaz, ce serait catastrophique. Les Turcs diraient: « Nous vous détestons pour nous dire ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. » »

4 April 2014

[1] Front Al-Nosra, également dénommé Jabhat al-Nosra ou Nosra « Front pour la victoire du peuple du Levant »), est un groupe djihadiste de rebelles armés affilié à Al-Qaïda, apparu dans le contexte de la guerre civile syrienne. À partir de novembre 2013, il prend également le nom de al-Qaïda Bilad ash-Sham « al-Qaïda au Levant » (AQAL. Il est dirigé par Abou Mohammad Al-Joulani. Il est en passe devenir en 2013 le plus important groupe rebelle de la guerre civile syrienne. Il est également doté d’une branche libanaise, qui revendique un attentat commis à Beyrouth en janvier 2014.

[2] Seymour « Sy » Myron Hersh est un journaliste d’investigation américain, né le 8 avril 1937 à Chicago, spécialisé dans la politique américaine et les services secrets. Il écrit notamment pour The New Yorker.

[3] Missile Russe SAM 7.


La Turquie provoque une crise régionale qui retarde l’offensive sur Mossoul

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Alors que la préparation de la bataille de Mossoul retenait l’attention de tous les observateurs, le Président Erdogan est intervenu avec violence, début octobre, dans les affaires intérieures de l’Irak, ouvrant une crise régionale et complexifiant davantage la délicate préparation de l’offensive sur Mossoul.

Alors que de profondes divergences de vues subsistaient entre Washington et Bagdad concernant l’emploi des milices shiites pour la libération de Mossoul, le Président Erdogan vient de commettre une ingérence sans précédent dans les affaires intérieures de l’Irak. Cette action complexifie encore plus le contexte régional et va contribuer certainement à retarder l’offensive sur Mossoul. En effet, ulcéré d’être tenu à l’écart de la préparation de cette offensive, le président Turc s’est livré en ce début du mois d’octobre à des provocations et des menaces inédites contre l’Irak et son premier ministre Haïder Al-Abadi.

Le Premier Ministre Haïder Al-Abadi entouré des chefs de l’armée irakienne

Le Premier Ministre Haïder Al-Abadi entouré des chefs de l’armée irakienne

Erdogan qui se rêve comme le nouveau Sultan Ottoman du Moyen-Orient considère que Mossoul, qui était un des joyaux de l’empire Ottoman, lui appartient toujours [1]. Le différend sur la présence de troupes Turques dans le Nord de l’Irak qui existait depuis plus d’un an, est devenu une crise grave le 2 octobre 2016 lorsque le parlement Turc a voté une loi autorisant l’Armée turque à intervenir en Irak et en Syrie. Le 3 octobre, Erdogan dans une interview à Rotana TV, une chaîne de télévision basée à Dubaï, donnait son avis sur ce que devrait être la composition ethnique de la ville de Mossoul, une fois libérée de l’EI : « Seuls les Arabes sunnites, les Turkmènes et les Kurdes sunnites pourront y rester » expatriant [2] ainsi de facto les chiites et les 35000 chrétiens qui y vivaient avant l’arrivée de l’EI. De son côté le premier ministre turc, Binali Yildirim, intervenait comme s’il soupçonnait le gouvernement irakien de vouloir chasser la minorité turkmène de Mossoul et mettait en garde contre « les tentatives de modifier la structure démographique de Mossoul », ce qui conduirait à « allumer le feu d’une grande guerre civile, d’une guerre sectaire ».

Le 5 octobre, Bagdad par la voix de son Premier Ministre réclamait, une fois de plus, le retrait de Bachika des troupes turques, qualifiées de « forces d’occupation » et menaçait : « L’aventure turque risque de tourner à la guerre régionale ». [3]

Le mardi 11 octobre, intervenant au 9e congrès de l’Organisation islamiste eurasienne à Istanbul, Erdogan a insulté le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi. Dans son allocution, retransmise par de nombreuses chaines de télévision, il traite le Premier Ministre irakien comme son vassal: « Reste à ta place ; tu n’es pas mon interlocuteur, tu n’es pas à mon niveau. Peu nous importe que tu cries depuis l’Irak, nous continuerons à faire ce que nous pensons devoir faire. L’armée de la République turque n’a pas de leçon à recevoir de vous. »

Cette crise entre Bagdad et Ankara complexifie la tâche du gouvernement américain pour qui la reconquête de Mossoul devait être exclusivement menée par les troupes irakiennes appuyées par la coalition. De leur côté, les peshmergas ne voulaient pas participer à l’assaut d’une ville non Kurde. Dans le plan américain, les peshmergas comme les milices shiites ne seraient utilisées qu’à des opérations de soutien autour de la ville, comme ce fut le cas durant la bataille de Falluja pour les milices shiites.

Mais cette position politique du gouvernement américain, destinée d’une part à rassurer l’Arabie Saoudite ainsi que les dirigeants et les de chefs des tribus sunnites de l’Irak et, d’autre part, à éviter d’éventuelles exactions contre les populations libérées qui terniraient la fin du mandat d’Obama, n’est pas de nature à créer un rapport de forces favorable à une reconquête rapide de Mossoul alors que le Président américain voudrait annoncer cette victoire avant la fin de son mandat. De leur côté, les milices shiites de l’Organisme de Mobilisation Populaire rejettent le plan américain et déclarent qu’elles participeront à la reprises de Mossoul et que personne ne pourra les en empêcher.

Les Etats-Unis ont porté leur participation à 6 500 conseillers militaires et ont accru leur aide en armement. Le contingent américain constitue 90% des forces de la coalition bien que la France ait renforcé sa participation en réengageant le porte-avions Charles de Gaulle dont dès le 30 septembre, 8 Rafales ont mené un raid sur la ville de Mossoul.

Un autre élément essentiel complique la préparation de l’offensive. C’est le sort des 1,5 millions d’habitants de Mossoul qui, dans leur majorité, avaient accueilli favorablement l’Etat islamique, lassés par les exactions de l’armée et de l’administration irakienne. Ils attendent aujourd’hui avec impatience cette libération tout en craignant d’en être les premières victimes. En effet, cette reconquête pose un problème humanitaire sans commune mesure avec ceux que les autorités ont déjà rencontré lors des libérations précédentes de Faluja et de Ramadi. En fait, tout dépendra de l’esprit de résistance dont feront preuve les combattants de Daech. Les informations à ce sujet sont souvent contradictoires et font penser que la guerre psychologique bat son plein d’un côté comme de l’autre. Ainsi, une des inconnues de cette opération sera la capacité de Daech à éviter une fuite massive des habitants de la zone des combats lorsque l’offensive sera lancée. Du côté de l’armée irakienne, on se prépare à accueillir un million de fuyards dans lesquels pourront se cacher des djihadistes.

Pendant ce temps, la classe politique irakienne danse sur un volcan

Le climat politique reste toujours aussi tendu entre le parlement irakien et le gouvernement d’Haider Al-Abadi et aussi entre les différents partis chiites qui composent la Coalition Nationale ainsi qu’entre Erbil et Bagdad malgré la visite du Président Barzani dont la légitimité est contestée par une partie des Kurdes qui lui reprochent de s’accrocher à son siège bien que son mandat soit terminé depuis près d’un an. Alors que Daech contrôle encore plusieurs localités et des villes irakiennes comme Mossoul, Ana, Rawa, Kaïm, Tall’afar, Hatra, et Hammam Al-Alil, que trois millions d’Irakiens sont déplacés du fait de la guerre et que le rétablissement de l’autorité de l’Etat se heurte à la mainmise des groupes et des milices extrémistes shiites dans les localités et les territoires libérés, la vie politique à Bagdad ressemble à une danse sur un volcan.
En septembre, les séances d’audition des ministres tenues par le parlement irakien ont repris leur cours. Elles ont concerné le ministre irakien des finances, le Kurde Hochiar Zebari, qui occupait auparavant le poste de ministre des affaires étrangères. Le parlement a voté contre lui une motion de censure donnant suite aux accusations de corruption lancées par les députés shiites du parti de l’Etat de droit et appuyées par le président du parlement, le Sunnite Salim Al Joubouri, favorable à cette motion. A Erbil, dès le lendemain du vote, Hochiar Zebari, a accusé l’ancien premier ministre irakien Nourri Al-Maliki et ses partisans pro-iraniens au sein du parlement irakien, de lancer des accusations sans fondement. Estimant que les délais juridiques n’ont pas été respectés lors de la procédure de la séance de motion de censure, il a annoncé qu’il se pourvoirait devant la justice irakienne pour contester cette décision. Pour les observateurs politiques, cette révocation de Hochiar Zebari qui est l’un des dirigeants important du Parti Démocratique du Kurdistan, PDK, et le neveu de Massoud Barzani, va envenimer davantage les relations entre les deux coalitions shiite et kurde. En effet, il est probable que le ministre des finances soit en possession de documents compromettants concernant Nourri Al-Maliki et qu’il n’hésitera pas à les dévoiler. Cette motion de censure va ralentir les discussions sont en cours avec le FMI en vue de l’octroi de prêts financiers importants indispensables à la survie de l’Etat irakien.

Le mois de septembre a aussi connu la nomination pour un an d’Amar Al Hakim, président du Conseil Islamique Suprême, à la tête de la Coalition Nationale shiite qui comprend les formations politiques shiites de Nourri Al-Maliki (Etat de droit), d’Ibrahim Al-Jafaari (Parti de la Réforme), de Muktada Sadr (Courant Sadriste) et bien sûr d’Amar Al-Hakim (Conseil Islamique Suprême). Cette nomination est considérée par les milieux shiites comme la dernière chance d’éviter un éclatement de cette coalition qui aggraverait encore plus le risque de guerre civile en Irak.
Pour couronner le tout, en septembre la situation sécuritaire à Bagdad et dans les 6 gouvernorats où Daech mène ses opérations a continué de se dégrader après une amélioration en aout. C’est le fait des attentats (808 morts) mais aussi des actes de banditisme en augmentation constante. Les victimes des attentats se répartissent géographiquement ainsi suivant les gouvernorats : Nineveh :241 ; Salahuldein :164 ; Al Anbar : 160 ; Bagdad : 138 ; Kirkuk :78, Diyala : 12 ; Bassora : 9 ; Maysan : 6.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL

[1] En effet cette ville fut rattachée à l’Irak à la fin de la première guerre mondiale. Les Turcs, qui étaient dans le camp des vaincus contestèrent cette décision avec véhémence, jusqu’en 1923.

[2] Mossoul : Erdogan multiplie les critiques contre le gouvernement irakien.

[3] L’Irak met en garde la Turquie contre un risque de « guerre régionale ». La présence de 2 000 soldats turcs dans le nord de l’Irak, dont plusieurs centaines sur la base de Bachika, au nord-est de Mossoul, où, depuis 2015, des combattants sunnites locaux (milice Hashd al-Watani) et des peshmergas sont entraînés, est une source de tension permanente entre les deux pays.


Général Pinatel : il devient clair que c’est la Turquie qui a organisé l’envoi de migrants

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« On sait qu’Erdogan laisse sa frontière ouverte au pétrole de Daech et qu’en Turquie Daech se réapprovisionne en armes et en munitions », affirme un expert militaire français.

Le président russe Vladimir Poutine attache beaucoup d’importance à la crise survenue dans les relations entre Moscou et Ankara suite au crash d’un avion militaire russe abattu par un chasseur turc, mais il ne veut pas aggraver les tensions, estime le général Jean-Bernard Pinatel, Président de LP Conseil.

​"Je pense qu’il [Vladimir Poutine, ndlr] fera tout de son côté pour ne pas laisser passer cette affaire qui est très grave. Mais en même temps, il a été très mesuré et il ne veut pas escalader dans cette affaire​", a déclaré le général Pinatel dans une interview à l’agence Sputnik.

Interrogé sur les affirmations du président russe selon lesquelles le président turc Recep Tayyip Erdogan était impliqué dans le trafic de pétrole avec Daech, l’interlocuteur de l’agence a répondu: « Là, il n’y a rien de nouveau. Je l’ai écrit plusieurs fois ».

« On sait très bien qu’Erdogan laisse sa frontière ouverte au pétrole de Daech, qu’en Turquie Daech se réapprovisionne en armes et en munitions, que les blessés de Daech sont soignés dans ce pays. Même la fille d’Erdogan, jusqu’à une période récente, dirigeait un hôpital où étaient soignés les blessés de Daech », a affirmé M. Pinatel

Selon lui, le fait que ces preuves ont été dévoilées par un chef d’Etat a beaucoup plus d’importance que s’il s’agissait de révélations faites par un simple expert.

D’après le général, les Etats-Unis sont les premiers à pouvoir faire pression sur Erdogan. Or, la position des Américains est « totalement ambiguë ».

« Maintenant, il devient clair au niveau des opinions occidentales que c’est la Turquie qui a organisé l’envoi de tous ces migrants dans lequel les terroristes étaient dissimulés et que ça a été entièrement pensé par Erdogan probablement en liaison avec Daech », a indiqué l’interlocuteur de l’agence.

Il est persuadé que « ce n’est pas aujourd’hui, ni demain, ni après-demain que la Turquie rentrera dans l’Union européenne ».

Interrogé sur le rôle de la France dans la lutte contre l’Etat islamique, le général Pinatel a déclaré: « La France fait ce qu’elle peut, car la France est déjà engagée au Sahel, en Afrique où elle supporte pratiquement seule la guerre menée en vue de stabiliser la situation au Mali, au Niger et au Tchad ».

Pour la France, l’opération contre Daech est plutôt une « action symbolique », a conclu le général.

Source : sputniknews.com