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Le grand écart stratégique d’Obama au Moyen Orient

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Les contradictions dans lesquelles se sont enfermés Obama et Hollande, en panne de vision stratégique au Moyen-Orient et confrontés à des lobbies aux intérêts inconciliables, augurent mal du succès de leur objectif commun : détruire l’Etat islamique (Daech).

Les contradictions de la politique américaine au Moyen-Orient peuvent se décrire ainsi :

Obama se fixe comme objectif de détruire Daech alors même qu’il a contribué à le créer en soutenant la déstabilisation du régime d’Assad par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie (membre de l’OTAN), alliés et clients historique des États-Unis et de leur industrie d’armement.

Obama envisage de frapper les djihadistes en Syrie, ce qui aidera, de fait, le régime d’Assad mais il annonce aussi qu’il va livrer des armes aux rebelles syriens modérés alors que l’on sait que, tôt ou tard, ces armes, en tout ou partie, arriverons dans les mains des djihadistes soit parce qu’ils les prendront lors de combats soit parce qu’elles leur seront en tout ou partie vendues par des intermédiaires que l’on ne contrôle pas.

Il va aider le nouveau premier Ministre chiite irakien à combattre Daech mais uniquement par des frappes aériennes, ce qui aboutira aussi à frapper les membres des tributs sunnites qu’il s’est fixé comme objectif de rallier. On a, en effet, en mémoire les dommages collatéraux causés à la population en Afghanistan par les frappes aériennes dites ciblées et le rejet américain qu’elles ont générées.

Obama exclut de la coalition l’Iran, qu’il continue de mettre au ban des nations alors qu’en fait, Téhéran est un des principaux soutiens de l’Irak sur les plans politique et militaire avec notamment l’envoi de gardiens de la révolution pour combattre aux côtés des milices chiites irakiennes.

Il continue de désigner la Russie comme un ennemi alors qu’elle fait face à la même menace islamique sur son sol et que ce pays, conscient du risque, est de facto dans notre camp puisque, à la demande du gouvernement irakien, il leur livre des avions, des hélicoptères et des armes.

Obama continue à considérer l’Arabie Saoudite comme un allié privilégié alors qu’elle a été la première à financer les djihadistes en voulant déstabiliser le régime alaouite de Damas à l’occasion du soi-disant « printemps arabe ». Ses dirigeants sont aujourd’hui paniqués parce que Daech, qu’ils croyaient pouvoir manipuler, leur échappe et menace de porter la guerre sainte leur son sol. N’ayant qu’une confiance relative en ses forces armées, pourtant suréquipées par les américains, l’Arabie Saoudite a sollicité l’aide du Pakistan et de l’Egypte qui ont dépêché chacun 15 000 soldats pour sécuriser sa frontière avec la Syrie.

Toutes ces incohérences laissent mal augurer de l’efficacité de l’action américaine, en particulier en Syrie.

En Irak cet appui ne peut être décisif que sous plusieurs conditions :

– que le nouveau premier ministre irakien Hayder Al Ebadi [1], désigné le 9 aout par le président de la république Fouad Massoum pour former le gouvernement irakien, compose un gouvernement représentatif de toutes les sensibilités politiques et religieuses en réintégrant notamment les sunnites aux postes prévus par la Constitution et en supprimant les interdits qui frappent les anciens baassistes;

– qu’il arrive à faire taire les divisions dans le camp shiite et notamment les préventions du parti de Mokhtar al Sahr qui s’oppose à la réintégration dans l’armée des anciens officiers bassistes et qu’il s’engage fermement dans l’intégration progressive des milices shiites dans l’Armée et/ou obtienne en tout ou partie leur désarmement ;

– qu’il négocie sérieusement avec les représentants et les chefs des tribus sunnites et leur donne les assurances qu’ils demandent dans le programme de 17 points qu’ils ont publié [2]. En effet, les sunnites et les tributs sunnites sont échaudés par le non- respect des accords signés avec Al Maliki et les américains qui avaient permis le « Surge » (sursaut) de 2007

De son côté, la France devrait comprendre qu’elle n’a aucun intérêt à intervenir en Irak dans le cadre de l’action américaine mais au contraire qu’elle devrait être le promoteur d’une politique étrangère européenne alternative, conforme à nos intérêts stratégiques.

Les grandes lignes de cette politique nouvelle sont les suivantes :

– réintégrer pleinement dans le jeu diplomatique la Russie et l’Iran qui sont deux acteurs majeurs au Moyen-Orient et avec lesquels nous possédons des intérêts communs. En effet, nous sommes dépendants d’eux pour notre approvisionnement en gaz (ils possèdent sur leur sol 40% des réserves mondiales prouvées). Or le gaz est la source d’énergie dont les réserves prouvées sont les plus importantes et représentent environ un siècle de consommation. Notre dépendance envers cette source d’énergie va inéluctablement augmenter durant le XXIème siècle d’autant plus qu’elle est moins polluante que le charbon ou le pétrole. Or, ces pays sont menacés directement par les djihadistes. C’est relativement connu pour la Russie qui possède 30 millions de musulmans dans ses frontières autant que l’Europe et qui a connu des attentats majeurs y compris à Moscou. Cela l’est moins pour l’Iran qui abrite sur son sol 7 à 10 millions de musulmans sunnites qui sont majoritairement implantés dans les régions contigües de la frontière irakienne.

– exiger l’européanisation totale de l’OTAN ou sa dissolution. Une première étape serait d’en exclure la Turquie, dont le Président Erdogan rêve de restaurer l’empire Ottoman qui s’est toujours opposé à l’Europe chrétienne. Sa position vis-à-vis des djihadistes est pour le moins ambiguë comme le prouve la libération des 46 otages turcs qui a été négociée contre la libération de 180 djihadistes d’Al Qaida. J’ai pu penser, comme le Président Sarkozy, qu’en réintégrant l’OTAN nous pourrions l’éuropéaniser. Cinq ans plus tard, il faut constater que nous nous sommes trompés. En effet, les Etats-Unis et les anglo-saxons, qui en sont les plus importants financiers (40%), se servent de cette organisation pour réactiver la guerre froide avec la Russie [3]. Les officiers et civils européens de l’Est, qui y servent, sont des collaborateurs de fait des intérêts américains car les salaires qu’ils perçoivent sont largement supérieurs à ceux qu’ils recevraient dans leur pays et ils s’alignent sur tout ce que veulent les anglo-saxons car cela sert directement leurs intérêts personnels.

Sans tomber dans les excès que propose Marine Le Pen et qui recueille de plus en plus de soutien chez nos compatriotes, il est temps que les autres leaders politiques comprennent que l’alignement sur les positions américaines dessert fondamentalement nos intérêts et contribue au marasme économique dans lequel notre pays s’enfonce chaque jour un peu plus.

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL, auteur de « Carnet de guerres et de crises 2011-2013 », Lavauzelle, Mai 2014 et de « Russie, alliance vitale », Choiseul, 2011.

[1] Ingénieur électricien de formation, il a vécu une vingtaine d’années en exil, en Grande-Bretagne. II occupait la fonction de vice-président du parlement irakien, et était considéré comme modéré et homme qui recherche des solutions consensuelles bien qu’il appartienne au même parti chiite Dawa de Nouri Al Maliki.

[2] « Réaliser un équilibre communautaire dans toutes les institutions de l’Etat. Assurer l’indépendance de la justice et l’épargner de toute influence politique. Faire preuve d’une bonne volonté en libérant les prisonniers et en décrétant le plus rapidement possible la loi d’amnistie générale. Restituer les avoirs et les biens fonciers confisqués illégalement à l’Organisme de Mainmorte sunnite et à certains citoyens. Appliquer le deuxième amendement de la loi 21, relatif à l’élargissement des pouvoirs et compétences des maires et des conseils municipaux. Lancer des projets stratégiques de transport aux gouvernorats d’Al Anbar, Mossoul, Salah Dine et Diyala, surtout les projets de chemins de fer et d’aéroports. Dissoudre les commandements des opérations des gouvernorats et charger la police locale et les gardes-frontière de la mission de gestion du dossier sécuritaire. Légiférer la loi de service militaire obligatoire. Prendre part à la prise de décision sécuritaire et militaire de manière à exprimer la diversité de la société irakienne. Poursuivre toutes les forces de terrorisme et les milices, quel que soient leurs origines ou dénominations. Interdire l’utilisation des mots et des surnoms à connotation sectaire ou ethnique dans toutes les institutions de l’État, notamment dans les écoles et les universités. Elaborer un plan de reconstruction pour les gouvernorats délaissés et touchés par les opérations militaires. Arrêter les opérations militaires et le bombardement par avion des gouvernorats de Ninive, Al Anbar, Salah Dine, Diyala, Kirkuk et les environs de Bagdad. Rapatrier les déplacés chez eux. Garantir la liberté d’expression comme c’est stipulé dans la constitution. Abroger la loi d’Inquisition et Justice parce qu’elle n’est plus nécessaire et accorder le poste de vice-président de la république aux Forces Nationales. Faire preuve de bonne volonté en libérant les dirigeants de l’ancienne armée irakienne.

[3] Voir pourquoi les Etats-Unis se préoccupent tant de l’Ukraine.

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