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Entretien : Pour sortir du brasier

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PROCHE-ORIENT : Après la Syrie et l’Irak, la guerre confessionnelle enflamme le Yémen. Le général Pinatel décrypte les issues possibles.

« Sud Ouest » : Pourquoi le Yémen a-t-il basculé à son tour dans la guerre confessionnelle ?

Général Jean-Bernard Pinatel

Général Jean-Bernard Pinatel
© photo DR

Jean-Bernard Pinatel [1]. Parce que depuis la réunification du pays, en 1990, la minorité chiite zaïdite, qui représente 45% de la population, a été marginalisée puis réprimée après la rébellion conduite en 2004 par Hussein al-Houthi visant à obtenir une plus grande autonomie pour les chiites dans la province nord de Saada. C’est de ce leader, tué par l’armée yéménite, que les rebelles tirent leur nom. Soutenus par le Hezbollah et l’Iran, ils ne veulent pas du projet fédéral du président de transition, Abd Rabo Mansour Hadi.

Comment interprétez-vous l’intervention militaire de Ryad ?

L’Arabie saoudite est convaincue que sa propre minorité chiite – officiellement 10% des habitants, mais sans doute près de 20% – menace la stabilité du royaume. La situation au Yémen, à son flanc sud, l’inquiète d’autant plus qu’au nord elle est sous pression de Daesh, qui a enrôlé plusieurs milliers de Saoudiens et ne cache pas sa volonté de libérer les lieux saints de l’islam. L’armée saoudienne est suréquipée et entraînée par les États-Unis. Pourtant, les dirigeants n’ont en elle qu’une confiance limitée, au point de demander au Pakistan et à l’Égypte de déployer 30 000 soldats à la frontière nord.

L’Arabie peut-elle espérer que la reconquête de l’Irak sur l’État islamique allégera la menace ?

À court terme, non. Car il faudra sans doute plusieurs années aux Irakiens pour chasser Daesh de leur sol, et ce malgré le soutien de l’Iran et les frappes aériennes conduites par les États-Unis. En Irak, le problème est militaire, puisque l’armée n’est pas encore opérationnelle. Mais il est surtout politique, car l’unité irakienne est rompue. Malgré les assurances données aux sunnites par le nouveau Premier ministre irakien, son prédécesseur Maliki continue à tirer les ficelles : c’est lui qui a créé les milices chiites qui sont allées participer à la reprise de Tikrit. Et il est sans doute derrière les attentats antisunnites qui ont lieu à Bagdad.

La reprise de Mossoul, la deuxième métropole d’Irak, n’est donc pas pour demain ?

En effet. Car, même si Mossoul est déjà en partie encerclée à l’est et au nord, la coalition va hésiter à s’y attaquer par des frappes aériennes en raison de l’imbrication de Daesh dans
la population et de la dispersion des arsenaux. La ville est ravitaillée : des avions se posent à l’aéroport, et la grande porosité de la frontière turque permet à Daesh de vendre des cargaisons de pétrole à prix cassés sur le marché turc. En l’absence d’un réel engagement de la Turquie aux côtés de la coalition, chasser l’État islamique d’Irak reste illusoire.

Cela ne dépend-il pas aussi de l’évolution en Iran, en Syrie, voire en Ukraine ?

Bien sûr. Guerres confessionnelles et enjeux géopolitiques sont si liés qu’on ne s’en sortira pas sans associer toutes les parties. En Syrie, cela signifie inviter Téhéran et Moscou autour de la table. Et les Européens doivent être à l’initiative, car Obama, qui ne peut pas être leader à cause de la fin prochaine de son mandat, voudrait qu’on garde de lui l’image d’un président qui a laissé une situation plus apaisée. Cela suppose, côté français, de corriger la politique étrangère « émotionnelle » qui a fait perdre au pays les cartes qu’il détenait dans la région.

Recueilli par Christophe Lucet

Source : Sud-Ouest

[1] Général deux étoiles, Jean-Bernard Pinatel, consultant international en intelligence économique.

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