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Demain, l’Irak libéré de l’EI ?

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Contrairement à ce que pensent tous les observateurs, le destin de l’Irak ne dépend pas de la coalition internationale initiée par Obama qui ne fera qu’appuyer un sursaut intérieur que l’Etat islamique (IE) a provoqué en Irak et au Moyen-Orient.

En effet, les succès spectaculaires des djihadistes n’ont été possibles que parce que trois gouvernorats à dominante sunnite [1] étaient déjà depuis plus d’un an en rébellion ouverte contre le pouvoir shiite sectaire d’Al Maliki. Peu d’observateurs ou d’« experts » ont pris en compte ce que j’écrivais dès juin 2013 [2] et qui explique le succès éclair de l’EI: « Après plusieurs mois de manifestations et de désobéissance civile des minorités sunnites dans les gouvernorats de l’Est et du Nord de l’Irak contre la politique du gouvernement Maliki, la répression sanglante par les forces de l’ordre, le 23 avril dernier, des manifestations de la place de Hawija a constitué le facteur générateur de crise qui a fait basculer les régions sunnites d’un état de protestation à celui de révolte armée. Début mai, de petites révoltes menées par des tribus sunnites ont éclaté un peu partout dans les zones sunnites irakiennes. Des localités situées dans les gouvernorats de Salah Dine, Diyala et Mossoul ont été attaquées et sont tombées seulement en quelques heures entre leurs mains. Les tribus d’Al Anbar ont annoncé la formation d’une armée tribale pour défendre le gouvernorat à la fois contre des groupes armés et l’armée irakienne. Les événements de Hawija ont mis en lumière plusieurs facteurs qui sous-tendent la situation sécuritaire actuelle en Irak : la fragilité des forces de l’ordre locales dans les zones de combats (elles n’ont résisté que quelques heures dans certaines localités); l’émergence au grand jour de l’Organisation des Hommes de Nakshbandyia qui est une émanation armée du parti Baas interdit. Elle s’est opposée aux forces de l’ordre dans les zones de Slimane Baig, Kara Taba et Mossoul; beaucoup des villes qui sont tombées entre les mains des membres des tribus sunnites se trouvent sur la bande frontalière avec le Kurdistan. Ce qui peut faire penser que les Kurdes jouent un certain rôle dans l’instabilité de ces zones ou bien ne sont pas mécontents de montrer à Maliki que sans leur aide il sera incapable de maintenir l’ordre dans le Nord ».

Le sursaut irakien

La situation politique

Son parti étant arrivé en tête aux élections législatives d’Avril 2014, le premier Ministre Al Maliki souhaitait briguer un 3ème mandat. Mais les deux autres formations shiites dont il avait besoin pour avoir la majorité à l’Assemblée voulaient bien former une coalition avec son parti à condition qu’il n’en prenne pas la tête, refusant de cautionner plus longtemps sa politique sectaire. La situation était ainsi bloquée et plongeait davantage l’Irak dans une crise de régime. Et c’est paradoxalement l’offensive de l’Etat islamique qui a permis le sursaut irakien. Il a été d’abord était rendu possible par le refus du chef spirituel shiite, l’ayatollah chiite Ali Sistani, d’approuver ce troisième mandat. Al Maliki a tout essayé pour le convaincre mais en vain. L’Ayatollah Sistani a refusé de rencontrer une délégation qu’il avait envoyée pour obtenir sa bénédiction pour le troisième mandat. Ses milices l’ont ensuite abandonné en se servant du prétexte qu’elles ne voulaient pas désobéir au grand chef religieux de Najaf.

Lâché aussi par Obama qui a bien compris que sans son départ et la création d’un gouvernement d’union nationale, il n’y aurait pas de victoire possible contre l’EI. Nouri Al Maliki, a finalement renoncé au pouvoir le 14 aout, après avoir essayé de s’y accrocher pendant 5 jours. En effet, le nouveau président de la république, Fouad Massoum, avait désigné dès le 9 aout, Hayder Al Ebadi [3] pour former le nouveau gouvernement irakien.

Dès sa nomination comme premier ministre, Al Ebadi a fait savoir qu’il élaborerait un programme gouvernemental prenant en compte toutes les propositions faites par les autres formations politiques, susceptibles d’aider à résoudre les crises politique, sécuritaire et économique du pays. Il a aussi indiqué qu’il choisirait des ministres compétents et technocrates.
En réponse à ces intentions, les principaux blocs politiques Sunnites et Kurdes, qui étaient exclus jusqu’à présent du pouvoir, ont publié chacun un programme de respectivement 17 [4] et 19 points. Les décisions, que le nouveau gouvernement irakien prendra par rapport à ces revendications, conditionneront le ralliement des tribus sunnites dont la rébellion a été en partie financée par le Qatar et l’Arabie Saoudite. Parallèlement, craignant pour leur propre sécurité depuis que leurs anciens affidés djihadistes se sont affranchis de leur tutelle, ces monarchies du golfe se sont engagés désormais à faire pression pour amener les tributs sunnites à se rallier au nouveau gouvernement irakien. Or, sans leur soutien les djihadistes ne pourront se maintenir que marginalement en Irak.

L’évolution de la situation sécuritaire

Dès la désignation de Hayder Al Ebadi pour former le nouveau gouvernement irakien, la situation sécuritaire s’est sensiblement améliorée, notamment à Bagdad et dans les gouvernorats rebelles sunnites comme le montre l’évolution du nombre d’attentats au cours du mois d’aout.

Armes à feu Engins explosifs Attaques suicidaires Total des attentats
S1 124 89 24 237
S2 88 67 4 159
S3 56 43 8 107
S4 14 22 16 52

L’intervention de forces étrangères dans la bataille contre l’Etat Islamique a permis de modifier le rapport de forces au Nord et à l’Est. Les avions américains et les forces kurdes du PKK turc, du PYD syrien et du PJAK iranien ont pris part aux combats aux côtés des Peshmergas irakiens, au nord de Ninive. Le 18 août, les forces de Peshmergas, grâce à un appui aérien américain et à un soutien des forces armées irakiennes, ont pu stopper la progression des Jihadistes de l’Etat Islamique, les obligeant même battre en retraite. Quelques jours plus tard, le barrage de Mossoul a été libéré ainsi que plusieurs localités et villages chrétiens comme Tel Skuf, Sharifia et Batinia.
Il est important de comprendre que l’Etat Islamique compense sa faiblesse numérique (probablement pas plus de 10 000 djihadistes introduits en Irak contre 180 000 Peshmergas et plusieurs centaines de milliers de forces de sécurité irakiennes) par une grande mobilité (ce qui leur permet de renverser localement en leur faveur le rapport de forces), un aguerrissement supérieur à leurs adversaires et l’utilisation de moyens d’actions non conventionnels dans leurs offensives comme des attaques de kamikazes et de camions piégés. Ainsi dans le gouvernorat de Diyala, le 10 août, lorsque les Jihadistes de l’EI ont attaqué Jalawla, ils ont utilisé 3 voitures piégées et une vingtaine de kamikazes portant des uniformes de Peshmergas et des ceintures d’explosifs qui se sont infiltrés dans les positions des Peshmergas avant de se faire exploser, les obligeant à reculer vers Khanaqin. Simultanément, un kamikaze conduisant un camion-citerne d’hydrocarbures s’est fait exploser contre un point de contrôle des peshmergas situé sur un pont reliant Jalawla à Khanaqin pour empêcher l’arrivée des renforts.

Aujourd’hui, les combats continuent toujours dans plusieurs régions d’Al Anbar, Diyala, Salah Dine, du nord de Bagdad et de Babel. Face à la menace aérienne, les Jihadistes se retranchent dans des villes au milieu des civils où l’appui aérien ne peut être que limité. Ils contrôlent toujours fermement une zone à l’Ouest et a Nord de l’Irak et mènent des incursions dans le reste des gouvernorats sunnites comme l’indique la carte ci-dessous :
situation

En conclusion

L’existence de l’Etat irakien n’est plus menacée. L’EI sera incapable de s’implanter durablement en Irak et son élimination ne demandera pas plus de 6 mois à 1an en fonction du ralliement des tribus sunnites, lui-même conditionné par les décisions d’apaisement qui seront prises par le nouveau gouvernement irakien. Le problème le plus délicat à régler à moyen terme pour le nouveau pouvoir irakien sera la négociation avec le Kurdistan sur certains acquis territoriaux et économiques réalisés à l’occasion de la guerre avec IE (notamment Kirkuk et son bassin pétrolier, vente direct du pétrole « Kurde » à la Turquie.)

Général (2S) Jean-Bernard PINATEL, auteur de Carnet de guerres et de crises 2011-2013, Lavauzelle, Mai 2014.

[1] Al-Anbar, Dyala, Salu Uddin

[2] La guerre civile confessionnelle gagne l’Irak, 9 juin 2013

[3] Ingénieur électricien de formation, il a vécu une vingtaine d’années en exil, en Grande-Bretagne. II occupait la fonction de vice-président du parlement irakien, et était considéré comme modéré et homme qui recherche des solutions consensuelles bien qu’il appartienne au même parti chiite Dawa de Nouri Al Maliki.

[4] « Réaliser un équilibre communautaire dans toutes les institutions de l’État. Assurer l’indépendance de la justice et l’épargner de toute influence politique. Faire preuve d’une bonne volonté en libérant les prisonniers et en décrétant le plus rapidement possible la loi d’amnistie générale. Restituer les avoirs et les biens fonciers confisqués illégalement à l’Organisme de Mainmorte sunnite et à certains citoyens. Appliquer le deuxième amendement de la loi 21, relatif à l’élargissement des pouvoirs et compétences des maires et des conseils municipaux. Lancer des projets stratégiques de transport aux gouvernorats d’Al Anbar, Mossoul, Salah Dine et Diyala, surtout les projets de chemins de fer et d’aéroports. Dissoudre les commandements des opérations des gouvernorats et charger la police locale et les gardes-frontière de la mission de gestion du dossier sécuritaire. Légiférer la loi de service militaire obligatoire. Prendre part à la prise de décision sécuritaire et militaire de manière à exprimer la diversité de la société irakienne. Poursuivre toutes les forces de terrorisme et les milices, quel que soient leurs origines ou dénominations. Interdire l’utilisation des mots et des surnoms à connotation sectaire ou ethnique dans toutes les institutions de l’Etat, notamment dans les écoles et les universités. Elaborer un plan de reconstruction pour les gouvernorats délaissés et touchés par les opérations militaires. Arrêter les opérations militaires et le bombardement par avion des gouvernorats de Ninive, Al Anbar, Salah Dine, Diyala, Kirkuk et les environs de Bagdad. Rapatrier les déplacés chez eux. Garantir la liberté d’expression comme c’est stipulé dans la constitution. Abroger la loi d’Inquisition et Justice parce qu’elle n’est plus nécessaire et accorder le poste de vice président de la république aux Forces Nationales. Faire preuve de bonne volonté en libérant les dirigeants de l’ancienne armée irakienne.

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