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100 ans après Sarajevo et le déclenchement de la Première guerre mondiale, un attentat pourrait-il provoquer un enchaînement similaire aujourd’hui ?

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Il y a 100 ans, l’héritier du trône austro-hongrois était assassiné à Sarajevo. Le mécanisme implacable d’alliances automatiques entre Etats s’est alors engagé, avec pour conséquence la première guerre mondiale.

Atlantico : L’attentat contre l’héritier du trône austro-hongrois à Sarajevo, le 28 juin 1914, conduisit l’Europe puis le monde dans la Première guerre mondiale. Aujourd’hui, un attentat pourrait-il conduire à une escalade militaire similaire ?

Jean-Bernard Pinatel : Non, pour plusieurs raisons. La plus importante est l’apparition de l’arme nucléaire. Les grands acteurs mondiaux ne peuvent se lancer dans une escalade des extrêmes, car ils ont la certitude que les risques qu’ils courraient seraient supérieurs aux enjeux. C’est pour cela que nous avons eu une guerre froide au lieu d’une guerre chaude après la seconde guerre mondiale.

L’arme nucléaire gèle l’escalade militaire.

La deuxième raison, c’est que le monde est interconnecté économiquement. En cas de guerre mondiale, il n’y aurait pas de vainqueur économique. S’il y avait une guerre entre la Chine et les Etats-Unis (pays qui est sorti renforcé de la seconde guerre mondiale), les deux perdraient.

La troisième raison est aussi de nature politique : on a aujourd’hui l’Onu, dont le rôle est de modérer les intentions des uns et des autres. Elle joue un rôle. Lors des crises entre le Pakistan et l’Inde, l’Onu a été un élément de mobilisation et a calmé le jeu.

La quatrième raison est que les peuples, grâce aux réseaux sociaux, ne se laisseront aujourd’hui pas engager dans n’importe quelle guerre n’importe comment. Les politiques n’ont plus le monopole de l’information. Prenons un exemple récent : François Hollande a voulu entraîner la France dans une guerre en Syrie. Au début, 70% des Français y étaient favorables. Au fur et à mesure que beaucoup de gens, dont moi, on expliqué que ça serait une bêtise, l’adhésion est tombée à 30%. Cameron et Obama ont connu la même chose.

Il reste une cinquième raison, encore valable pour quelques temps : les dirigeants les plus âgés ou ceux qui ont pris leur retraite se souviennent encore de l’holocauste qu’a été la seconde guerre mondiale. Mais ça ne sera plus vrai dans vingt ans.

Béatrice Giblin : Non, c’est impossible. D’abord parce que le souvenir des tragédies des deux guerres mondiales fait que les responsables politiques y regarderaient à deux fois avant de se lancer dans un engrenage qui conduirait à une guerre mondiale.

De plus, nous ne sommes plus dans des affrontements de grands empires. En 1914, la France comme la Grande-Bretagne sont encore des puissances impériales, avec la capacité de mobiliser des troupes – les fameux tirailleurs sénégalais pour la France – ce qu’on serait bien incapable de faire aujourd’hui, fort heureusement.

Troisièmement, nous avons aujourd’hui des armées de métier, il n’y aurait donc pas l’équivalent d’une tragédie avec des millions de morts. Sauf à utiliser les bombes atomiques, mais c’est une autre histoire. Il n’y aurait pas de chair à canon, comme lors de la première guerre mondiale.

Ce souvenir, et le changement des armes de la guerre, contribuent à ce que les décisions fassent qu’on ne parte pas la fleur au fusil. C’était le cas en 1914 !

Les logiques d’alliance entre les États ont-elles changé depuis la Première guerre mondiale ?

Jean-Bernard Pinatel : A l’époque, la logique d’alliances était automatique : quand un pays était attaqué, les autres avaient obligation de rentrer en guerre. Aujourd’hui, il y a toujours une logique d’alliances – l’Otan en est une – mais son utilisation est soumises aux chefs d’État et le secrétaire général de l’Otan ne peut pas déclencher une opération sans discussions. Il n’y a plus d’automaticité.

Béatrice Giblin : Absolument.

D’abord, l’Onu a été créée après la Seconde guerre mondiale. C’est justement un lieu de consultation pour éviter l’engrenage. Il est difficile de passer outre le conseil de sécurité. On le voit aujourd’hui : quand la Russie dit « non », eh bien on ne bouge pas.

Au niveau mondial, on s’est donné des instruments de négociations. Ils ne sont pas parfaits, mais peuvent servir de garde-fous. Ca ne veut pas dire qu’il n’y aura plus jamais de guerres importantes, mais on y réfléchira à deux fois.

De plus, nous avons créé des organisations de défense comme celle de l’Otan, pour lesquelles il y a une réelle réflexion avant de s’engager. On ne part pas sans se dire qu’il y aura des conséquences. Ce qui s’est passé en Irak, où les Etats-Unis se sont embarqués essentiellement avec les Britanniques, donne à réfléchir, quand on voit le chaos aujourd’hui. Idem en Libye.

Quant aux alliances entre pays, comme l’organisation de Shanghai entre la Russie et la Chine, elles sont loin d’être aussi intégrées que l’Otan. Les Chinois sont prêts à montrer leur puissance impériale en Asie du sud-est, mais n’iraient pas s’embarquer dans n’importe quoi.

Qu’en est-il d’un possible attentat terroriste ? On se souvient que l’attentat du 11 septembre 2001 a eu des conséquences importantes, à commencer par l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Afghanistan…

Jean-Bernard Pinatel : L’entrée en guerre des États-Unis en Afghanistan s’est faite avec le consensus du monde entier. Chaque État connait aujourd’hui des attentats terroristes : les Chinois avec les Ouïgours, la Russie a ses islamistes en Tchétchénie ou au Daguestan, nous avons les nôtres, les États-Unis ont été touchés… Chaque pays du monde est en lutte contre le terrorisme.

Même dans le cas de la Syrie, l’Arabie saoudite ou la Turquie ont armé les islamistes, mais ces derniers ont échappé à leurs sponsors. On aurait pu dire au début – et la Syrie l’a fait – qu’elle était attaquée par ces deux Etats par terroristes interposés, mais aujourd’hui, les islamistes ont pris leur autonomie. On le voit en Irak aujourd’hui.

Finalement, l’attentat de Sarajevo a-t-il vraiment eu l’importance qu’on lui porte?

Jean-Bernard Pinatel : Les historiens pensent que c’est beaucoup plus tout ce qui se passait dans les Balkans qui a entraîné la guerre. D’ailleurs, l’attentat se passe en juin et l’entrée en guerre en septembre. L’escalade était plus liée à la situation des Balkans, au nationalisme, etc. Il y a aujourd’hui une grosse réévaluation de l’importance de l’attentat de Sarajevo.

Source : ATLANTICO

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